Martine  SARCEY

Un don de charme et de gentillesse

 

Comédienne au registre étendu, elle peut émouvoir et être drôle sans jamais céder à la facilité.

 

Aujourd'hui, près de quarante films et une interrogation :  comment comprendre pourquoi si peu de producteurs n'aient rien trouvé de mieux à proposer à une actrice aussi douée ?

 

Fort heureusement, le théâtre compensa largement cette  singulière anémie. Il lui fit prendre de l'altitude en utilisant à bon escient sa virtuosité, sa sensibilité et son indéniable talent. Un talent jamais prit en défaut.

 

En outre, et pour l'avoir côtoyée, Martine, c'est non seulement une admirable comédienne, mais aussi l'image parfaite de l'anti-star dotée d'une très rare et très grande disponibilité.

 

C

orrigeons tout d'abord une erreur souvent émise par de patentés biographes en précisant que, bien qu'appréciant la ville, Martine n'est pas née à Rouen, mais à Auteuil dans le seizième arrondissement de Paris.  Soyons précis.

 

Fille d'André Rouchaud et de Françoise Brisson, co-rédactrice en chef du quotidien "Le Journal" qui, aux premières heures de l'Occupation, continua sa parution en "zone libre" pour ne la cesser définitivement que lorsque la France fut entièrement sous contrôle; arrière petite-fille de Francisque Sarcey, célèbre critique dramatique au "Temps", au "Gaulois" et au "Figaro"; nièce de Pierre Brisson, directeur à ce même "Figaro" et de la comédienne Yolande Laffon, Martine a  vraiment de qui tenir.

A 16 ans, elle écrit le journal de ses souvenirs de l'exode qui emmène sa famille à Gassin dans le Var alors que le papa est retenu pour affaires aux Etats-Unis. Celui-ci le montre à ses amis français qui, enthousiastes, lui conseillent de le publier. Aussi sort-il en langue anglaise sous le titre de "The time of our lives".  A la Libération, Pierre Brisson le découvre à son tour et le présente à Gaston Gallimard qui l'édite sous le titre "Journal d'une petite fille". 

 

La radio la sollicite très tôt. Elle y rencontre Maurice Cazeneuve alors jeune réalisateur qu'elle épouse en janvier 1950.

Elle participe à de nombreuses pièces, des classiques mêmes, ce qui est fort prisé à cette époque de l'immédiate après-guerre, et si Louis Jouvet la félicite, il lui fait clairement comprendre, sans équivoque possible, que la place d'une vraie comédienne ne peut se trouver que sur les planches.

Lui-même, revenu de sa longue tournée en Amérique du Sud, reprend la sienne au Conservatoire d'art dramatique en animant un cours général sur le théâtre sous forme de causerie et de conversation avec les élèves. Il conseille Martine d'entrer dans la classe de Béatrice Dussane comme auditrice libre, après quoi elle y passe deux ans auprès de  condisciples dont les noms et les talents se feront connaître : Nicole Maurey, Frédérique Hébrard, Jean-François Calvé, Perrette Souplex, Marcelle Ranson, etc.

 

En 1949, elle débute au théâtre sous son vrai nom avec le rôle de Sainte Catherine dans  Jeanne et ses juges de Thierry Maulnier. Les représentations se donnent  sur le parvis de la cathédrale de Rouen, Jacqueline Morane, Marcelle Tassencourt, Michel Vitold et son amie Nicole Maurey en sont les principaux protagonistes. A noter que la mise en scène est confiée à Maurice Cazeneuve.

 

Deux ans plus tard, Yves Allégret la dirige dans son tout premier film Nez de cuir d'après le roman de Jean de la Varende, début modeste puisqu'il s'agit d'une figuration qui la tient éloignée de Jean Marais, le héros du film. Ce n'est que partie remise, ils se rencontreront plus tard et dans d'autres circonstances.

Elle enchaîne ensuite sous son pseudonyme définitif de Sarcey avec Agence matrimoniale où elle est bien présente aux côtés de Bernard Blier et de Julien Carette, puis avec Procès au Vatican où sous sa robe de Carmélite elle tente de dissimuler au mieux l'heureux événement qui se prépare, la naissance de son fils Fabrice le 19 juin 1952.

 

Petits rôles dont certains ne lui plaisent guère car totalement aux antipodes de sa personnalité, notamment celui sous la direction de Jean Stelli qui ne trouve rien de mieux que de lui faire camper une vamp aux côtés de Frank Villard dans son Alerte au deuxième bureau, un polar de peu d'envergure.

 

Il faut bien un commencement et c'est avec Le caïd de Champignol qu'elle se voit confier le premier rôle féminin d'un film. Il s'agit du troisième et dernier opus de la série un peu nunuche conçue pour Jean Richard, ici en garçon de ferme, et concoctée par un Jean Bastia loin, très loin, d'honorer les cinémathèques de l'hexagone.  Comme quoi, n'est pas Girault qui veut. 

Sans trop de regrets, Martine quitte ce décor équestre pour un restaurant médiéval d'Evreux où l'attendent Le voleur et les caméras de Louis Malle signataire de cette très belle adaptation d'un roman de Georges Darien. Le casting est brillant et est emmené par un irréprochable Jean-Paul Belmondo, mais dont le contre-emploi explique sans doute la bien modeste sortie du film.

 

Quant à Yves Robert, il en fait l'épouse docile de Philippe Noiret dans son Clérambard selon Marcel Aymé et la dirige sept ans plus tard, toute séduction déployée envers son patron impénitent cavaleur (Jean Rochefort), dans Un éléphant ça trompe énormément. 

Elle entre ensuite dans l'univers assez particulier voire hermétique d'André Delvaux lors de  son Rendez-vous à Bray (Prix Louis-Delluc 1971), alors que Jean Girault, déjà cité, en rupture momentanée de "Gendarmes" lui offre d'interpréter une journaliste, épouse délaissée de Louis Velle, dans une comédie fraîche, drôle, au titre dubitatif, Les murs ont des oreilles.

Arrivent Mocky qui, peintre d'une société corrompue, en fait une femme du monde avec Un linceul n'a pas de poches, et Lautner qui la dirige dans La maison assassinée, un drame paysan en Haute Provence pour lequel elle incarne la mère d'Anne Brochet.

 

Saluons l'une de ses dernières compositions, L'équipier de Philippe Lioret, ancien ingénieur du son arrivé à la réalisation, où elle tient le rôle de Nanou, la tante d'Anne Consigny laquelle retrouve son île natale d'Ouessant et des secrets de famille bien gardés.  

 

Finalement, ses plus grandes satisfactions lui viennent de la télévision et surtout du théâtre.

 

Pour la petite lucarne, tout d'abord avec cet immense succès populaire produit par France 3 : les treize épisodes de La porteuse de pain, le mélo absolu et inégalable de Xavier de Montépin réalisé par Marcel Camus. Aujourd'hui encore, elle doit se souvenir du tournage particulièrement épuisant qui durant près de trois mois nécessita un fort engagement physique de sa part pour assumer le difficile rôle de cette infortunée Jeanne Fortier qui finit par sombrer dans la folie.

Un rôle qui va l'ancrer dans la mémoire des cinéphiles bien qu'elle participe aussi à d'autres excellentes dramatiques notamment sous la direction de Maurice Cazeneuve (L'exécution) ou de son fils Fabrice (L'enfant sage), ainsi qu'avec de semblables réalisateurs tout aussi talentueux tels Claude Barma (La nuit des rois), Stellio Lorenzi (Un crime sous Louis-Philippe pour "La caméra explore le temps"), Marcel Cravenne (Don Juan revient de guerre), Hervé Baslé (Les maîtres du pain, en émouvante maman d'Anne Jacquemin), etc.

 

Quant à sa grande passion, celle de la scène (et nous la partageons !), faute de place, nous devons nous en tenir à quelques titres pris au hasard dans sa brillante théâtrographie, des titres de gloire tels : Beckett ou l'honneur de Dieu de Jean Anouilh (Th. Montparnasse, 1958-59); L'amant complaisant de Graham Greene adapté en français par Jean et Nicole Anouilh (Comédie des Champs-Elysées, 1962); Don Juan aux enfers une des œuvres majeures de Bernard Shaw (Th. de la Madeleine, 1965), Comme au théâtre, la première pièce de Françoise Dorin (Th. de la Michodière, 1967), Protée de Paul Claudel (Th. Hébertot, 1974), L'homme en question de Félicien Marceau (Th. de l'Atelier, 1974), L'exil de Montherlant (Studio des Champs-Elysées, 1974), Les folies du samedi soir de Marcel Mithois (Th. de la Bruyère, 1978), Le cœur sur la main de Loleh Bellon aux côtés de sa grande amie Suzanne Flon qu'elle n'hésite pas à qualifier de phare voire de conscience (Studio des Champs-Elysées, 1980), Une absence de Loleh Bellon toujours avec Suzanne Flon (Th. des Bouffes-Parisiens, 1988-90), La bonne âme de Se Tchouan de Bertolt Brecht (Th. de la Ville, 1995), Aimez-moi les uns les autres d'Alex Métayer (Th. du Gymnase, 1995-96), La tempête de Shakespeare (Festival d'Anjou, 1997). Et récemment, en 2005, pour le rôle de la duchesse d'York sublime mère d'un superbe Philippe Torreton en Richard III, roi déchu de la célèbre fresque shakespearienne d'une durée de près de quatre heures (Th. des Amandiers, e.a.), etc.

 

Impossible de tout énumérer. Sans compter les nombreuse tournées, e.a. pour Un amour qui ne finit pas d'André Roussin et Une chatte sur un toit brûlant où elle se glisse dans l'atmosphère étouffante et névrosée de Tennessee Williams et du rôle de la mère précédemment tenu par Annick Alane… Plusieurs prestations dans le cadre de "Au théâtre ce soir" de Pierre Sabbagh et sa participation aux "Tréteaux de France" de Jean Danet où elle entonnera, entre autres, Le temps des cerises, la célébrissime chanson de Jean-Baptiste Clément, le révolté de la Commune.

Que de titres glorieux et que d'auteurs géniaux !

 

Mais si vous lui demandez ce qui constitue son meilleur souvenir professionnel, elle vous répondra sans une once d'hésitation Cet animal étrange une pièce grinçante de Gabriel Arout d'après les récits de Tchekhov qu'elle joua au Théâtre Hébertot (1965) avec un remarquable partenaire en la personne de Maurice Garrel pour la soutenir dans six rôles différents, ni plus ni moins.

 

En novembre 1978, le "Trophée Dussane", dont Jean Piat, Françoise Dorin et Jean-Jacques Gautier en sont les principaux jurés, lui est remis pour Les folies du samedi soir,

 

En 2004, l'A.P.A.T. (Association Professionnelle et Artistique du Théâtre) lui décerne à juste titre le Molière de la meilleure comédienne dans un second rôle pour L'inscription de Gérald Sibleyras (Th. du Petit Montparnasse). Une cérémonie qui se déroule malheureusement dans une absence de représentation télévisuelle pour cause de grève des personnels techniques à propos de la réforme du régime d'indemnisation et du chômage, complété par le refus de Jean-Michel Ribes d'assumer la mise en scène de la soirée, ayant jugé que le théâtre public avait été insuffisamment représenté dans la sélection.

 

Elle s'impliqua aussi au doublage et très bizarrement grâce au rôle muet (!) qu'elle tint aux côtés de Michel Piccoli dans Clotilde du Nord, une pièce en un acte de Louis Calaferte à l'affiche de la Comédie de Paris, un petit théâtre de Pigalle. Elle fut ainsi, entre autres, la voix française de Maria Schell pour Gervaise puis, celle d'Audrey Hepburn, Julie Andrews, Monica Vitti, Joanne Woodward et Elizabeth Montgomery pour la série culte de Ma sorcière bien aimée.

 

Récemment divorcée de Maurice Cazeneuve, c'est en accompagnant son amie Renée Passeur à la septième édition du Festival de Cannes qu'elle rencontre Michel de Ré dont elle tombe amoureuse.  Ils vivront vingt-cinq années de passion discrète et de bonheurs partagés jusqu'à l'échéance de cette longue maladie qui, en mars 1979, emportera le talentueux comédien-metteur en scène. Une communion parfaite et complice, Martine interpréta d'ailleurs plusieurs pièces sous sa direction : La Tour Eiffel qui tue de Guillaume Hannoteau, La Reine mère de Pierre Devaux, La bande à Bonnot de Boris Vian, toutes trois au Théâtre du Quartier Latin; Clotilde du Nord déjà citée plus haut, Le secret d'André de Richaud et Les aveux les plus doux de Georges Arnaud à la Comédie de Paris, ainsi qu'aux Festivals d'Angers et de Vaison-la-Romaine.

Elle apparut aussi à ses côtés dans l'un des feuilletons TV dont il fut le héros, Le commandant X (Le dossier de Saint-Mathieu). Enfin, elle l'accompagna en Avignon lorsqu'il rejoignit le T.N.P. pour lequel il joua Nicomède, cette œuvre brillante aux multiples allusions politiques due à notre grand Corneille.

 

Fidèle à ses amis, fidèle aux lieux, si elle garda un certain temps une maison de campagne dans le Perche, elle habita de longues années dans le premier arrondissement de Paris, avant d'en passer trente-deux autres dans le deuxième… à quelques pas de la Comédie Française, l'un des rares endroits de la capitale où l'on ne lui a pas (encore) permis d'exprimer son talent…

Et enfin, depuis peu, dans le 11ème arrondissement.  Rive droite, toujours.

 

Chère Martine, bizarrement, au moment de relire votre filmographie une image me vient en mémoire, celle de L'hôtel de la plage*, en l'occurrence celui de Locquirec dans le Finistère, cette comédie estivale, rafraîchissante et sans prétention où se font et se défont les amours de vacances et où vous aviez fort à faire face à Bernard Soufflet, ce jeune puceau non dénué de constance et d'ardeur.

Superbe, très belle, et même plus, joliment habillée d'une robe bleu roi, vous apparaissiez ainsi dans la toute dernière séquence juste avant le générique de fin, alors que s'égrenait la doucereuse mélodie de Mort Schuman :

 

"Un été de porcelaine, un cœur pour la première fois qui chante et se déchaîne…"  

 

Vous en souvenez-vous, Martine ?

 

Sachez que cette apparition reste un délicieux souvenir pour tous ceux qui vous aiment… et Dieu sait combien nous sommes nombreux !

A vous revoir sur nos écrans.

 

 

©   Yvan Foucart   pour   Les gens du cinéma   (août 2007) 

      avec mes vifs remerciements à Martine Sarcey

      et à l'aimable complicité de Jean-Louis Milla de "Souvenances des Cinéphiles".  

 

* dont la sortie DVD est annoncée pour ce 5 septembre 2007.

 

FILMOGRAPHIE.

 

1951  Nez de cuir, d'Yves Allégret, figuration.

          Agence matrimoniale, de Jean-Paul Le Chanois, avec Bernard Blier.

          Procès au Vatican, d'André Haguet, avec France Descaut.

1954  Les intrigantes, de Henri Decoin, avec Raymond Rouleau.

1955  Marie-Antoinette, reine de France, de Jean Delannoy, avec Michèle Morgan. (non repris au générique)

1956  Alerte au deuxième bureau, de Jean Stelli, avec Frank Villard.

1958  The creation of the World / La création du monde, film d'animation d'Eduard Hofman, voix.

1963  Méfiez-vous mesdames, d'André Hunebelle, avec Paul Meurisse.
          Les animaux, documentaire de Frédéric Rossif, narration.

1964  Fifi la plume, d'Albert Lamorisse, avec Philippe Avron.

1965  Le caïd de Champignol, de Jean Bastia, avec Jean Richard.

1966  Le voleur, de Louis Malle, avec Jean-Paul Belmondo.

1968  La leçon particulière, de Michel Boisrond, avec Renaud Verley.

          Salut Berthe, de Guy Lefranc, avec Fernand Raynaud.

1969  Clérambard, d'Yves Robert, avec Philippe Noiret.

          Du soleil plein les yeux, de Michel Boisrond, avec Renaud Verley.

1970  Aussi loin que l'amour, de Frédéric Rossif, avec Michel Duchaussoy.

1971  Rendez-vous à Bray, d'André Delvaux, avec Anna Karina.

          L'homme au cerveau greffé, de Jacques Doniol-Valcroze, avec Mathieu Carrière.

1974  Un linceul n'a pas de poche, de Jean-Pierre Mocky, avec Michel Serrault.

          L'important c'est d'aimer, d'Andrzej Zulawski, avec Romy Schneider, voix seulement.

          Les murs ont des oreilles, de Jean Girault, avec Louis Velle.

1975  A nous les petites anglaises, de Michel Lang, avec Rémi Laurent.

1976  Un éléphant ça trompe énormément, d'Yves Robert, avec Jean Rochefort.

1977  Certaines nouvelles, de Jacques Davila, avec Micheline Presle

          La vie parisienne, de Christian-Jaque, avec Jean-Pierre Darras.

          La preuve par six, sketch "Anatole", d'Armando Bernardi, avec Norberto Cortopassi.

          Un moment d'égarement, de Claude Berri, avec Jean-Pierre Marielle.

1978  Trocadéro bleu citron, de Michael Schok, avec Anny Duperey.

          L'hôtel de la plage, de Michel Lang, avec Daniel Ceccaldi.

1979  Ciao, les mecs, de Sergio Gobbi avec Charles Aznavour.

1980  Deux lions au soleil, de Claude Faraldo, avec Jean-François Stévenin.

1985  P.R.O.F.S., de Patrick Schulmann, avec Patrick Bruel.

1986  Etats d'âmes, de Jacques Fansten, avec Robin Renucci.

1988  La maison assassinée, de Georges Lautner, avec Patrick Bruel.

1994  Dernier stade, de Christian Zerbib, avec Anne Richard.

          Jefferson in Paris / Jefferson à Paris, de James Ivory, avec Nick Nolte.

1996  The willows in Winter / Des saules en hiver, dessin animé de William Howood, voix.

          (initialement prévu pour la télévision)

1999  La maladie de Sachs, de Michel Deville, avec Albert Dupontel.

2001  Au milieu de la nuit, court métrage de Gaëlle Baron, avec Maroussia Dubreuil.

2003  Un 14 juillet, court métrage de Nathalie Saugeon, avec Etienne Bierry.

          L'équipier, de Philippe Lioret, avec Anne Consigny.

2006  Le chant de la baleine, court métrage de Catherine Bernstein, avec Françoise Le Treut.

          Humeurs et rumeurs, de Paul Vecchiali, avec Nicolas Silberg. (inédit).

 

© Yvan Foucart pour Les Gens du Cinéma (Mise à jour 17 décembre 2007)