GISELLE
PASCAL
D'une exquise féminité…
Le public a vécu vingt ans de fiançailles
avec l'une de ses plus ravissantes comédiennes, l'une de ses plus radieuses.
Une silhouette élégante et fine, une allure telle que l'on
s'étonne qu'elle n'ait pas été mannequin. Et un sourire engageant plein
d'aménité, ce qui pourrait être un paradoxe chez cette comédienne à la fois
intimidante et impressionnante. Et farouchement discrète. On aimerait
l'aborder, mais comment s'y prendre ?
Qu'est ce donc ce quelque chose qui nous trouble en
Giselle Pascal ?
G |
iselle Tallone, qui deviendra bien vite Giselle
Pascal naît à Cannes le 17 septembre 1921.
Le papa, d'origine italienne de Bergame, et la maman tiennent un
commerce de fruits, de légumes et de fleurs à deux pas d'une Croisette non
encore pourvue de son Palais du Festival.
Tout en les aidant avec André, son frère aîné, et
Odette, sa sœur cadette, les ambitions de Giselle se portent essentiellement à
viser un emploi de sténo-dactylographe et de suivre des cours de chant et de
danse.
Jusqu'alors le théâtre s'était limité pour elle à de
courtes apparitions sur les planches de son collège. C'est Marc Allégret, grand
dénicheur de talent ayant rejoint la zone libre, qui la remarque à son éventaire
de fleurs et qui la convoque le lendemain chez lui en présence de Raimu. Instantanément, elle plaît au grand Jules car
elle a "l'assent". C'est avec
une telle bénédiction qu'elle effectue son initiation théâtrale dans la
compagnie de Claude Dauphin tout en se préparant à tourner L'Arlésienne qu'élabore
Allégret. Celui-ci tient à lui confier
le rôle de Vivette aux côtés d'un autre Cannois d'adoption, fils du gérant du
"Grand-Hôtel", qui deviendra bientôt célèbre sous le nom de Louis
Jourdan.
Auparavant, elle fait une première apparition sous
forme de bout d'essai dans Les deux timides que réalise Yves, le frère
puîné de Marc.
L'année suivante, elle enchaîne avec La belle
aventure. Elle y tient - déjà - le premier rôle féminin à égalité avec Micheline
Presle. Elle incarne une jeune fiancée qui renonce le jour même à son mariage,
préférant son beau cousin (à nouveau Louis Jourdan) à son promis (Claude
Dauphin). Cette comédie de Robert de Flers et Gaston Caillavet et finement
dialoguée par Marcel Achard connaît un très grand succès.
Giselle est lancée et ses films reçoivent un très
bon accueil auprès du public ainsi que de la presse. Dans Lunegarde, d'après le roman de
Pierre Benoit, elle interprète la fille du comte (Lucien Nat) à la recherche
d'une mère qui l'a abandonnée; pour Les J3 elle apparaît en bien
ravissante professeur de philosophie dont le charme ne laisse pas indifférent
certains de ses élèves; avec le Dernier refuge, inspiré d'un roman de
Simenon, elle succombe au charme de Raymond Rouleau; alors que pour Véronique,
l'opérette d'André Messager, elle nous ravit avec "poussez poussez
l'escarpolette…" en nous révélant ce joli timbre de voix déjà
précédemment exploité dans Plume au vent, l'opérette de Jean Nohain, à
l'affiche du Studio des Champs-Elysées.
Elle termine l'année 1949 avec La petite
chocolatière, d'après la pièce de Paul Gavault. Elle y
pétille de fraîcheur et de charme dans le rôle de Benjamine Lapistolle,
la petite "peste" autoritaire et sans gêne, très "gosse de
riche" aux côtés d'un imperturbable Claude Dauphin et d'un bouillant Henri
Genès. C'est amusant, c'est léger, ah ! délicieuse époque que celle où le
cinéma français faisait rêver son public, un public qui ne demandait qu'à se
distraire le plus sainement et le plus joyeusement du monde… sans qu'il ait à
se décoller la rétine par des effets spéciaux dont il est constamment abreuvé
aujourd'hui.
1952, elle aborde un
changement de registre avec Horizons sans fin, l'excellent film de Jean
Dréville dans lequel Giselle est magistrale en Hélène Boucher, l'ex-petite vendeuse sur les Champs-Elysées qui deviendra la première aviatrice
Française détentrice de sept records mondiaux.
Mais aussi au destin tragique dont la folle passion la conduira à la
mort, en pleine gloire, à 26 ans. Le 30
novembre 1934, le "Rafale", son avion, s'écrase à Guyancourt au cours
d'un vol d'entraînement. Citée à l'ordre de la nation, de nombreux lycées
portent, aujourd'hui encore, son nom.
Pour Giselle, ce personnage vrai, reste non
seulement son meilleur souvenir, mais aussi son meilleur rôle. Pour incarner
cette pure héroïne avec la plus grande justesse possible, elle a du, conscience
professionnelle oblige, afin de simuler les gestes familiers des aviateurs,
effectuer plusieurs heures d'entraînement et passer son brevet de pilote.
Petit retour en arrière à 1944 qui s'ouvre comme une
année d'agréables "turbulences".
Sans faire preuve d'indiscrétion, sans trahir quoi que ce soit, on la
sait intimement liée au Prince héritier Rainier de Monaco. Etudiant à
Montpellier, il l'avait découverte alors qu'il se trouvait un soir au théâtre
pour une représentation de Plume au vent.
Le bon peuple est ravi de cette jolie romance,
complice de ces amoureux discrets, presque fiancés, réfugiant leurs amours à
Saint-Jean-Cap-Ferrat où le prince est en exil provisoire... du rocher.
Seulement voilà, au décès de Louis II en 1949, la
cour monégasque ne l'entend plus de cette oreille et abandonne toute
indulgence. Les princes n'épousent pas (encore) les bergères fussent-elles de
jolies chocolatières… Les amoureux ont
beau faire, l'autorité réussit à mettre un terme à leur liaison.
Peu après, en 1953, au 6ème Festival de Cannes
présidé par Jean Cocteau, Giselle venue à l'invitation du Délégué Général,
Robert Favre Le Bret, afin d'y défendre son film Horizons sans fin,
rencontre un cow-boy placide sorti tout droit d'un village de l'Ouest
américain. Ce cow-boy au regard
magnétique est auréolé d'une toute récente double récompense, un Oscar et un
Golden Globe pour High Noon / Le train sifflera trois fois. Il a pour nom Gary Cooper, mais
tout le monde l'appelle familièrement Coop. Il règne alors sans guère de
partage sur le cinéma outre-Atlantique et collectionne tous les prix et les
referendums de popularité.
En outre, il représente l'homme de devoir, droit,
vertueux, irréprochable… comme dans ses films.
Gary et Giselle deviennent inséparables, non
seulement lors des manifestations officielles, mais ailleurs. Qu'ils le
veuillent ou non, ils déplacent les foules.
Leur relation en arrive à dépasser et à éclipser le déroulement de la compétition. Seule une jeune fille de bonne famille, à la
moue boudeuse et à la poitrine audacieuse fait déjà crépiter les flashes des
photographes sur la plage du Carlton et apporte ainsi quelques heureuses
diversions à l'idylle Coop-Giselle.
Idylle publicitaire ou flirt ?
Nous n'en saurons plus. Quant à la jeune fille, elle s'appelle Brigitte
Bardot… elle devra encore attendre trois ans pour que Dieu et un certain Vadim
nous la créent…en femme et qu'elle se fasse connaître dans le monde entier sous
ses initiales B.B.
Cette année-là, le cinéma américain est débarqué en
force : Lana Turner et Lex Barker roucoulent sérieusement, Kirk Douglas n'est
pas du reste mais on ne sait trop avec qui, Errol Flynn croise Olivia de
Havilland, son ancienne partenaire de ses premiers westerns, Walt Disney et Anne
Baxter sont de passage, et Edward G. Robinson se trouve parmi le jury.
Celui-ci, également composé d'Abel Gance, de Charles
Spaak et de Renée Faure, décerne à l'unanimité la Palme d'or au Salaire de
la peur de Clouzot.
Les festivités terminées, on retrouvent
Coop et Giselle à Paris, à la première de la revue du Lido, chez Christiani, un
célèbre tailleur de la rue de la Paix, à la "Kermesse aux étoiles"
qui se tient sous les arbres du Jardin des Tuileries.
Alors, idylle publicitaire ou flirt ?
Quoi qu'il en soit, Gary accueille Rocky, son
épouse, et Maria, sa fille, à l'aéroport d'Orly et poursuivent ensemble leur
voyage européen vers l'Espagne après que Coop ait fait un passage éclair par
Bruxelles à l'invitation des Galas Ciné-Revue qu'organise son ami, le
talentueux Joe van Cottom.
Giselle quant à elle rejoint les studios parisiens
et entame Marchandes d'illusions, un drame qu'elle aborde comme
assistante sociale à la réinsertion des prostituées.
Elle ne se doute pas que Cupidon, le vrai, va
apparaître sur le plateau. Il a les
traits de son partenaire, ceux d'un comédien omniprésent sur les écrans
français et en passe de revêtir les habits impériaux que lui confie Sacha
Guitry pour son Napoléon. Ce comédien n'est autre que Raymond Pellegrin
récemment divorcé de Dora Doll. Giselle
l'avait déjà eu comme partenaire en 1943 pour Déjeuner de soleil, l'une
de ses premières pièces jouée à Nice, mais à cette époque ni l'un ni l'autre
n'étaient en mesure de se douter de la suite.
Giselle et Raymond se marient le 8 octobre 1955 à
Gif-sur-Yvette, une charmante localité champêtre et encore bucolique de la
vallée de Chevreuse. Marcel Pagnol leur fait l'honneur d'être leur témoin. La veille au soir, le 7, sur la scène du Théâtre de Paris, Raymond
créait précisément Judas, la dernière pièce de l'académicien !
Sept ans plus tard, le 12 septembre 1962, le couple sont les parents ravis d'une jolie Pascale, aujourd'hui
comédienne. On la vit notamment sur scène dans Joyeuses Pâques auprès de
Jean Poiret et de Françoise Fabian ainsi que dans La femme publique, un
film de Zulawski avec Francis Huster, Valérie
Kaprisky et… Giselle Pascal, avec laquelle elle n'a aucune scène.
En 1958, ils accompagnent les tournées
Karsenty-Herbert et Liberté provisoire, une pièce de Michel Duran.
Par ailleurs, ils tournent trois films ensemble,
d'honnête facture, sans plus. Giselle
apparaît encore dans Mademoiselle de Paris, un charmant divertissement
qui la conduit auprès de Jean-Pierre Aumont dans les milieux des catherinettes.
Dans Le masque de fer, elle incarne la
ravissante Madame de Chaulmes, dont s'enflamme Jean Marais, flamboyant et
bondissant d'Artagnan. Ce n'est certes pas ce que l'on retiendra de mieux
d'Henri Decoin. Acceptons cette
co-production franco-italienne comme un aimable délassement, sans plus, mais
Dieu ! comme vous étiez jolie, Giselle, dans votre
éblouissante robe princesse toute de satin !
Elle se retire fin des années soixante et réapparaît
dans la décennie 80 pour quatre films fort honorables, mais qui ne lui permettent
qu'une bien modeste participation.
En 1988, elle clôture sa carrière cinématographique
avec un 35ème film, Juillet en septembre, de Sébastien Japrisot, le
drame d'une jeune femme, maladroite et timide (Anne Parillaud), en quête de son
passé auprès de laquelle Giselle tient une agence immobilière dans les Landes.
Sa toute dernière apparition professionnelle date de
1992, Tous en selle, un téléfilm produit par la télévision suisse et
réalisé par Christine Kabisch. Auparavant, il convient de le rappeler, elle
s'était produite durant quatre ans dans un feuilleton quotidien diffusé par la
télévision allemande Fast im Sattel réalisé par la même Christine
Kabisch.
Pour l'ORTF, on la vit dans Le collier de la
reine issu de La caméra explore le temps de Stellio Lorenzi; André
Chenier et la jeune captive de Jean-Paul Carrère; Le cœur ébloui de
Lucien Descaves avec Lucien Baroux; La mort des capucines d'Agnès
Delarive avec Raymond Pellegrin; La mort d'un champion d'Abder Isker;
ainsi que des participations aux Cinq dernières minutes version Jacques
Debary et Maigret version Jean Richard.
N'oublions pas la radio, notamment à Europe n°1 en
1960, où tous les midis elle participe au feuilleton Hélène et son
destin. Elle en est l'héroïne, une
hôtesse de l'air, imaginée par Jean Chouquet et dont les partenaires sont, entre autres, Michel Piccoli, Jean Desailly, Maurice
Biraud et Pierre Vaneck.
Le théâtre est évidemment très important dans sa
carrière, mais nous devons cependant nous montrer peu exhaustif avec Histoire
de rire d'Armand Salacrou (1943); A quoi rêvent les jeunes filles
d'Alfred de Musset (1943); L'enquête de minuit de Michel Arnaud (Th. des
Célsetins à Lyon, 1943); Monseigneur de Michel Dulud, avec Jean Pâqui
(Th. Daunou, 1944); La bonne hôtesse, l'opérette de Jean-Jacques
Vital et Bruno Coquatrix dans laquelle elle triomphe en hôtesse de l'air au
seyant uniforme, ce qui ne l'empêche ni de chanter ni de danser sous les yeux
admiratifs de Bourvil et d'André Claveau (Th. de l'Alhambra, 1946); La nuit
du diable de Jacques Robain (Th. de la Potinière, 1946); Frère Jacques
d'André Gillois, avec Fernand Gravey et Jacques Morel (Th. des Variétés, 1951);
La leçon d'amour dans un parc d'André Birabeau, Jean Valmy et Guy
Lafarge (Th. Bouffes-Parisiens, 1951); N'écoutez pas mesdames de Sacha
Guitry avec Fernand Gravey (Th. de la Madeleine, 1962); Un homme comblé
de Jacques Deval, en fait c'est Robert Lamoureux qu'elle comble tous les soirs
(Th. des Variétés (1964); L'exil de Henry de Montherlant avec Emmanuelle
Riva (Th. Hébertot, 1982), etc.
Enfin, à ses succès cinématographiques et théâtraux
s'ajoute l'un de ses plus beaux titres : le prix Orange que la presse écrite
lui décerne pour sa grande disponibilité et son exquise urbanité.
Déçue par quelques rôles anodins, elle se retire du
cinéma et préfère vivre un bonheur tranquille auprès de son mari quelque part
en Camargue, son nouveau havre de paix et de sérénité, et ceci après avoir
longtemps séjourné en Provence et au début de leur union à "La
Closerie", une grande maison blanche isolée à Souppes-sur-Loing.
Elle s'est faite rare, trop rare à notre goût, mais
nous la savons préférer privilégier son bonheur familial à sa carrière. Qui l'en blâmerait ?
A l'image de Mary Pickford qui fut la "petite
fiancée" de l'Amérique, Giselle, pour beaucoup d'entre-nous, restera la
nôtre : primesautière, souriante, éternellement gentille, l'antithèse d'une
star capricieuse.
Vraiment.
FILMOGRAPHIE.
1941
Les deux timides, d'Yves Allégret, avec Claude Dauphin.
L'Arlésienne, de Marc Allégret, avec Louis Jourdan.
1942
La belle aventure, de Marc Allégret, avec Claude Dauphin.
La vie de bohème, de Marcel L'Herbier, avec Louis Jourdan.
1944
Lunegarde, de Marc Allégret, avec Gérard Landry.
1945
Madame et son flirt, de Jean de Marguenat, avec Andrex.
Les J 3, de Roger Richebé, avec Gérard Néry.
1946
Tombé du ciel, d'Emile-Edwin Reinert, avec Claude Dauphin.
Amours, délices et orgues, d'André Berthomieu, avec Jean Desailly.
Dernier refuge, de Marc Maurette, avec Raymond Rouleau.
1947
Après l'amour, de Maurice Tourneur, avec Pierre Blanchar.
Mademoiselle s'amuse, de Jean Boyer, avec Ray Ventura.
1949
La femme nue, d'André Berthomieu, avec Yves Vincent.
La petite chocolatière, d'André Berthomieu, avec Claude Dauphin.
Véronique, de Robert Vernay, avec Jean Desailly.
1950
Bel amour / Le calvaire d'une mère, de François Campaux, avec Antonio
Vilar.
1952
Horizons sans fin, de Jean Dréville, avec Jean Chevrier.
1953
Si Versailles m'était conté, de et avec Sacha Guitry.
Boum sur Paris, de Maurice de Canonge, simple participation.
1954
Marchandes d'illusions, de Raoul André, avec Raymond Pellegrin.
Le feu dans la peau, de Marcel Blistène, avec Raymond Pellegrin.
1955 La madone des sleepings, de Henri
Diamant-Berger, avec Erich von Stroheim.
Mademoiselle de Paris, de Walter Kapps,
avec Jean-Pierre Aumont.
Si Paris nous était conté, de et avec Sacha Guitry.
1956
Pitié pour les vamps, de Jean Josipovici, avec Viviane Romance.
1957
Sylviane de mes nuits, de Marcel Blistène, avec Frank Villard.
1958
Ça n'arrive qu'aux vivants, de Tony Saytor, avec Raymond Pellegrin.
1961
Seul... à corps perdu / A corps perdu, de Jean Maley et Raymond Bailly,
avec Yves Massard.
1962
Le masque de fer, de Henri Decoin, avec Jean Marais.
1968
Secret world / La promesse / L'échelle blanche, de Paul Feyder et Robert
Freeman, avec
Jacqueline Bisset.
1969
Un caso di conscienza / Un cas de conscience, de Giovanni Grimaldi, avec
Raymond
Pellegrin.
1982
En haut des marches, de Paul Vecchiali, avec Danielle Darrieux.
1983
La femme publique, d'Andrzej Zulawski, avec Francis Huster.
Les compères, de Francis Veber, avec Pierre Richard.
1988
Juillet en septembre, de Sébastien Japrisot, avec Anne Parillaud.
© Yvan Foucart pour
@ Les gens du cinéma (le 16 mai 2005)