Véra  NORMAN

 


 

           


 

Un visage clair qu'illumine des yeux bleus très tendres, Véra Norman nous avait fait grâce de sa touchante personnalité.

Les critiques et le public l'avaient désignée comme la nouvelle Micheline Presle dont elle abordait le registre, allant de la fantaisie à  l'émotion.

En ingénue candide ou campant des personnages plus assurés, Véra Norman a toujours fait preuve d'un talent généreux et irréprochable.  Elle n'a jamais déçu son public.

 

Dès lors, pourquoi s'est-elle absentée de nos écrans ?

 

 

 

 

 

F

ille unique d'émigrés russes (le papa fut, entre autres, chanteur à la Scala de Milan), la jeune Véra naît dans le quatorzième arrondissement de Paris et y effectue toutes ses études secondaires.

 

A 17 ans, elle trouve un emploi de secrétaire (pas très brillante, avoue-t-elle) auprès d'un Monsieur Vincent, nom prémonitoire s'il en est, propriétaire de plusieurs salles de cinéma.

L'atmosphère n'est pas pour lui déplaire d'autant que fan du septième art, elle ne laisse passer aucun film.

 

C'est donc quasi naturellement qu'elle suit les cours d'art dramatique dispensés par Renée Corciade, une ex-comédienne de l'Odéon  à  la personnalité marquante qui créa notamment Chantecler d'Edmond Rostand au Théâtre de la Porte Saint-Martin.  Celle-ci officie généreusement, pour quelques sous, au sein de son appartement du Faubourg Saint-Honoré dans une ambiance assez décontractée voire amicale.

 

Véra passe ensuite au Centre du Cinéma de Henri Fescourt, puis à l'E.P.J.D. (Education Par l'art et le Jeu Dramatique), une méthode d'enseignement encouragée par Jean-Louis Barrault favorisant  davantage les notions de gymnastique et de mime plutôt que la prosodie des textes classiques.  Elle y a comme camarade Claude Laydu qui, par la suite, se fera surtout connaître avec Le journal d'un curé de campagne, le film de Bresson récompensé par le Prix Louis-Delluc 1950.

 

Parallèlement, elle participe en tant que figurante à quelques films et se présente au Concours 1947 organisé au Moulin de la Galette par l'hebdomadaire "Cinévie", disparu depuis bien longtemps. 

Elle remporte le premier prix ce qui lui permet surtout d'être engagée pour un petit rôle dans Monsieur Vincent  dont la vedette est Pierre Fresnay. 

Cela lui confère le statut d'actrice puisque Maurice Cloche, charitable, lui confie un texte, en l'occurrence une phrase, une seule.  Elle s'en souvient encore aujourd'hui.  Elle se souvient surtout de l'avoir prononcée aussi faux que possible. 

Que le réalisateur, certes charitable mais surtout bien indulgent, en soit remercié.

 

A cette époque, un autre metteur en scène, Jacques Becker prépare avec fièvre et obstination son fameux Rendez-vous de juillet qu'il veut être le reflet de la jeunesse de l'après-guerre.

Pour lui, cette histoire ne peut se concevoir qu'avec des visages neufs. 

Beaucoup d'apprenties comédiennes défilent et auditionnent aux studios Francoeur.  Véra est retenue avec Nicole Courcel.  Finalement, après beaucoup d'hésitations, le rôle échoit à Nicole et si Véra est éliminée c'est, lui explique-t-on, parce qu'elle ressemble trop à Brigitte Auber, déjà choisie pour l'autre rôle principal.

 

En cette même année 1949, Jean Dréville, moins indécis, lui confie le premier rôle féminin pour Le grand rendez-vous, un film relatant les préparatifs du débarquement américain en Afrique du Nord.

 

Elle enchaîne ensuite avec le rôle d'Oseille dans Lady Paname, l'unique incursion de Henri Jeanson à la mise en scène. Malgré la présence de Louis Jouvet et de Suzy Delair, malgré une bonne reconstitution du Paris des années 20, malgré un scénario crédible, le film ne récolte pas le succès escompté et ne reste guère imprimé dans nos mémoires.  Mêmes nos chaînes télévisées l'oublient dans leurs rediffusions.

Comme quoi un bon critique de cinéma et un bon scénariste n'excelle pas nécessairement une caméra à la main.

 

Suivent Ma pomme, pour une mise en valeur du monument historique qu'incarne Maurice Chevalier, L'homme de la Jamaïque, tourné à Tanger, dans lequel elle joue la jeune et dévouée infirmière de l'aventurier sans scrupules campé par Pierre Brasseur; Les petites Cardinal en épouse infidèle de l'indolent marquis interprété par Jean Tissier; Au pays du soleil en douce et fraîche Miette dont tombe amoureux Tino Rossi; Un caprice de Caroline chérie en comtesse auprès de Martine Carol; Violette impériales, l'opérette à grande mise en scène et aux refrains superbement enlevés de Francis Lopez, etc.

Elle apparaît une dernière fois au cinéma en tireuse d'élite dans un polar oublié de 1954 aux côtés de Georges Ulmer.

 

Injuste victime, comme tant d'autres jeunes actrices (Lise Bourdin, Danielle Godet, Sylvie Pelayo, Danik Patisson, Hélène Rémy, etc.), de la Nouvelle Vague qui trouve le cinéma et ceux qui le servent complètement ringards, voire "bourgeois", Véra est mise sur la touche.

 

Fort heureusement, le théâtre la sollicite.

Il occupe une place importante dans sa carrière d'autant qu'elle débute en 1948 sous de très bons auspices et sous l'aile protectrice de Boris Vian pour la création de J'irai cracher sur vos tombes (Théâtre Verlaine).

 

Elle enchaîne avec Germaine Delbat dans Les emmurés de Brisville; La fessée de Jean de Létraz; Les amants terribles, le classique de Noël Coward, Le songe d'une nuit d'été de Shakespeare pour le Festival d'Alger en 1955; Demeure chaste et pure inspiré du film Sept ans de réflexion avec Marilyn Monroe.

 

Fin 1957, Aux Bouffes-Parisiens, elle participe aux côtés de Daniel Gélin et de Claude Génia à la création de la pièce de l'Américain Clifford Odets, Le grand couteau, traduit et adapté en français par Jean Renoir.

 

Elle alterne avec les scènes de la capitale et celles des tournées dans l'hexagone et à l'étranger, notamment les Karsenty-Herbert.  Tout cela avec un bonheur à chaque fois renouvelé car les auteurs et leurs textes sont sublimes : Les parents terribles de Jean Cocteau (1958); La mouche bleue de Marcel Aymé (1959); Mademoiselle Julie de Strindberg et Le naufrage de Simone Dubreuil qu'elle joue à l'invitation de Roland Ravez dans son petit "Théâtre des 4 sous", sur la Grand-place de Bruxelles (1959); L'invitation au château de Jean Anouilh avec Dany Robin et Georges Marchal (1960); La logeuse d'Audiberti avec Lila Kedrova; Les séquestrés d'Altona de Jean-Paul Sartre avec un superbe et talentueux Reggiani; Gog et Magog de Roger McDougall et Ted Allan adaptée en français par Gabriel Arout avec François Périer; Le mari, la femme et la mort d'André Roussin (1963), etc.

 

Il n'empêche, les sollicitations se raréfient et Véra se tourne alors vers la télévision où pendant deux ans, elle occupe les fonctions de productrice et d'animatrice pour une émission enfantine.

 

Elle passe ensuite sur RTL où Pierre Henry, son époux, travaille en tant que concepteur et inventeur de jeux  pour lesquels il prépare les textes présentés par Fabrice et Michel Drucker. 

Véra y adapte des romans, tels Le mépris ou Bonjour, tristesse et collabore en tant que dialoguiste à l'émission historique Vous avez vécu cela…

 

En 1985, elle se retire avec sa mère et son mari à Deauville et adopte avec bonheur une totale reconversion pour le métier d'antiquaire et de cadreur.  Afin de se perfectionner, elle n'hésite pas à suivre des cours du soir qui l'amènent plus tard à décrocher le premier prix attribué à la lauréate d'un Salon de l'Encadrement.

 

Elle garde toutefois un lien avec le milieu artistique puisque parmi ses fidèles amies figure notre très grande comédienne qu'est Sophie Desmarets rencontrée lors du Gala organisé dans les caves Möet et Chandon de Reims pour la sortie de Ma pomme dont elles sont les vedettes. Une amitié naissante qui eut lieu hors caméra car Sophie et Véra n'avaient aucune prise ensemble.

 

Aujourd'hui, seule (elle a perdu ses deux êtres chers), elle est toujours débordante d'activité, passionnée de peinture, sans regrets pour le 7ème art, curieuse de tout et dotée d'un éternel optimisme : "Il ne faut jamais désespérer de la vie" se plait-elle à répéter.

 

Elle a toujours les mêmes yeux bleus très tendres.

Ceux de Miette et d'Oseille, ceux-la mêmes qui nous ont fait rêver.

 

Sait-elle, au moins, que pour nombre de cinéphiles, la nostalgie est toujours ce qu'elle était et que Véra Norman fait partie intégrante de nos heureux souvenirs ?

Oui.

Définitivement.

 

 

 FILMOGRAPHIE.

 

1944  Echec au Roy, de Jean-Paul Paulin, figuration.

1946  La rose de la mer, de Jacques de Baroncelli, figuration.

          Rouletabille, de Christian Chamborant, figuration.

1947  La renégate, de Jacques Séverac, figuration.

          Monsieur Vincent, de Maurice Cloche, avec Pierre Fresnay.

1948  Retour à la vie, sketch "Le retour d'Antoine" de Georges Lampin, figuration.

1949  Mission à Tanger, d'André Hunebelle, avec Raymond Rouleau.

          Le grand rendez-vous, de Jean Dréville, avec François Patrice.

          Lady Paname, de Henri Jeanson, avec Louis Jouvet.

1950  Le tampon du capiston, de Maurice Labro, avec Rellys.

          Ma pomme, de Marc-Gilbert Sauvajon, avec Maurice Chevalier.

          Les petites Cardinal, de Gilles Grangier, avec Saturnin Fabre.

          L'homme de la Jamaïque, de Maurice de Canonge, avec Pierre Brasseur.

1951  Sérénade au bourreau, de Jean Stelli, avec Paul Meurisse.

          Au pays du soleil, de Maurice de Canonge, avec Tino Rossi.

          Torticola contre Frankensberg, court métrage de Paul Paviot, avec Michel Piccoli.

          Un jour avec vous, de Jacky Pinoteau, avec André Claveau.

1952  La double méprise, court métrage de Jean Béranger, avec Nicole Berger.

          Un caprice de Caroline chérie, de Jean Devaivre, avec Martine Carol.

          Violettes impériales, de Richard Pottier, avec Luis Mariano.

          La neige était sale, de Luis Saslavsky, avec Daniel Gélin.

1953  Cet homme est dangereux, de Jean Sacha, avec Eddie Constantine.

          Les corsaires du bois de Boulogne, de Norbert Carbonnaux, avec Raymond Bussières.

1954  Une balle suffit, de Jean Sacha, avec Georges Ulmer.

 

©  Yvan FOUCART pour www.lesgensducinema.com