Nicole MAUREY
Elle fut la parfaite ambassadrice
outre-Atlantique de la Parisienne lorsque ce label d'élégance et de séduction
signifiait encore quelque chose.
Au-delà de sa touche glamour, il y a en elle une grâce permanente
et un côté racé qui réveillent notre
sensibilité et qui nous émeut.
Malgré la place que les Américains lui accordèrent en haut
des génériques, il nous reste ses trop rares films qui nous donnent aujourd'hui
une idée forcément incomplète de ses énormes possibilités.
F ille cadette d'un papa architecte et d'une
maman intéressée par la littérature et le théâtre, Nicole suit la filière
classique des jeunes filles attirées par la scène.
Poussée par maman car elle est de nature plutôt
timide, Nicole débute comme petit rat à l'Opéra de Paris. C'est Solange Sicard, rencontrée de façon
bien fortuite à la clinique où elles sont toutes deux hospitalisées, qui l'incite à s'ouvrir à l'art dramatique et qui lui donne ses
premiers cours. Par la suite, elle passe le concours du Conservatoire et suit
ceux de Maurice Escande, de Béatrix Dussane et de Jacques Charon.
Après un petit rôle dans Madame de Falindor de
Georges Manoir et Armand Vérhylle (à qui l'on devait déjà un Monsieur de
Falindor), Simone Berriau l'accueille sous son aile protectrice et la fait
débuter dans sa salle mythique du boulevard de Strasbourg dans Le petit
café, une alerte comédie de Tristan Bernard aux côtés de Bernard Blier et
de Marie Dubas (Th. Antoine, 1949), puis accompagnant Fernand Gravey elle
enchaîne sur cette même scène avec Harvey, une pièce américaine de Mary Chase adaptée par Marcel Achard, qui tint l'affiche à Broadway durant cinq ans et lui valu le
Prix Pulitzer.
L'année suivante, elle participe à la création de Manouche,
un aimable divertissement d'André Birabeau avec Denise Grey, Jean Brochard et
Jean d'Yd (Th. Bouffes-Parisiens, 1951) et enfin Vogue la galère avec
Antoine Balpêtré et Marcel André, un titre plutôt de circonstance si l'on en
juge les critiques, Jean-Jacques Gautier en particulier qui avoue avoir "le
cœur lourd de ne pouvoir défendre la pièce", du reste l'un des rares
échecs de Marcel Aymé (Th. de la Madeleine, 1951).
Parallèlement, elle accroît sa popularité au cinéma
qu'elle avait abordé quelques années plus tôt lors de ses débuts discrets dans Blondine
de Henri Mahé, une réalisation assez tiède d'un
metteur en scène dont on n'entendra plus guère parler. L'échec, d'ordre
technique, venait d'un procédé optique qui se voulait révolutionnaire et qui
fut très mal utilisé.
En vérité, c'est Bresson qui lui ouvre les portes de
son avenir cinématographique et qui la dirige ensuite, toute jeune
institutrice, dans son Journal d'un curé de campagne auprès du prêtre
malade, fraîchement issu du noviciat, magnifiquement incarné par Claude
Laydu. La même année, Edouard de
Segonzac, directeur de la Paramount française, la découvre au théâtre dans Les
derniers outrages, une comédie de Robert Beauvais dont l'action se passe
sous l'occupation (Th. Vieux-Colombier, 1952). Elle tient le premier rôle
féminin et interprète une femme de tête, autoritaire, que Cupidon se charge de
métamorphoser en la créature la plus douce et la plus amoureuse qui soit. Ravi
de son jeu et de l'évidence de son talent, de Segonzac la convainc de se rendre
aux studios hollywoodiens où les essais s'avèrent très concluants.
Pressentie pour le rôle dévolu à Colette Deréal dans
Le petit garçon perdu, c'est finalement à elle qu'échoit le rôle
principal de Lisa, la jeune chanteuse française mariée à Bing Crosby, un
correspondant de guerre de la radio américaine à Paris. Entrée dans la résistance, elle tombe sous
les balles allemandes tandis que son petit garçon campé par le souffreteux
Christian Fourcade est recueilli par l'Assistance publique. Une comédie
dramatique chargée de délicate mélancolie qui récolte un très beau succès
auprès du public.
A son retour à Paris, Nicole enchaîne aux studios de
Billancourt avec Les compagnes de la nuit aux amours tarifées, elle
y campe une "fille" qui veut s'en sortir, mais qui finit tragiquement
sous les coups de son proxénète. Puis vient L'ennemi public n°1, une
heureuse transition, une comédie burlesque sans surprise que mène un Fernandel
bigleux, maladroit et épris de la ravissante Peggy qu'elle incarne.
Dès
lors, Nicole se partage entre les States et la France après être apparue comme
il convient dans les cours d'histoire du Maître: Si Versailles m'était conté
(en Mademoiselle de Fontanges, favorite de Louis XIV et rivale de la Maintenon)
et Napoléon (en voluptueuse Madame Tallien).
La
Paramount en fait une ravissante réfugiée roumaine recherchée par la police de
son pays dont tombe amoureux Charlton Heston, un pilote aventurier plutôt bien
bâti. Le film, Le secret des Incas, nous offre aussi l'une des très
rares apparitions de la chanteuse péruvienne Yma Sumac. Avec Moi et le
colonel à la distribution internationale : Danny Kaye, Akim Tamiroff, Curd
Jürgens et Françoise Rosay, elle prend part à l'exode de juin 1940 et traverse
la France en Rolls Royce. Elle apporte
une touche de charme et de discrétion dans cette suite d'invraisemblables
imbroglios où, jeune fiancée de Curd
Jürgens, elle est aussi convoitée par un attendrissant Danny Kaye, loin de son
registre habituel.
Citons
encore Violence au Kansas, un western rondement mené par Melvin Frank
auprès de Jeff Chandler pour une fois en mauvais cow-boy et Fess Parker (ayant
remisé sa tenue de Davy Crockett) en bon, ainsi que High time/Le démon de
midi une comédie musicale de Blake Edwards où elle retrouve Bing Crosby en
self made man multimillionnaire amoureux de la charmante enseignante de
français à laquelle Nicole prête ses traits et sa culture.
Toutefois,
son meilleur souvenir reste The bold and the brave, tourné en 1956 aux studios RKO par Lewis R. Foster. A l'issue d'une scène particulièrement
dramatique et chargée d'émotion, tout le plateau, des machinistes aux
électriciens, du metteur en scène à ses partenaires Mickey Rooney, Wendell
Corey et Don Taylor en tête, l'applaudissent… lui offrant ainsi la plus belle
des standings ovations.
Avec Wendell Corey dans
The bold and the brave,
son meilleur souvenir…
Au
début des années soixante, elle quitte l'Amérique pour l'Angleterre.
Deux
films s'imposent et sont très bien accueillis par le public : The constant husband
/ Un mari presque fidèle et The
scape goat / Le bouc émissaire. Hélas, de ce côté-ci du Channel, ils
souffriront d'une mauvaise diffusion, si ce n'est d'une absence quasi
totale, et ne connaîtront qu'un succès mitigé.
Elle
regagne la France, partage une aventure d'agents secrets avec Jean Marais;
s'engage dans un San Antonio d'honorable facture; incarne une châtelaine
dans Gloria un mélodrame de Claude Autant-Lara et enfin, nous
offre un ultime rendez-vous avec Chanel Solitaire, la biographie
romancée de la célèbre Coco, avec laquelle elle clôt ses activités
cinématographiques.
Elle
renoue avec les scènes de l'hexagone notamment lors d'une tournée Barret avec La
jalousie de Sacha Guitry, revient souvent et fidèlement à Lyon avec Jean
Meyer (e.a. aux Célestins) pour des œuvres majeures, telles : La nuit des
rois de Shakespeare; Lorenzaccio d'Alfred de Musset; Histoire
d'un détective de Sidney Kingsley (la Paramount en fit en 1950 une
adaptation pour le grand écran avec Kirk Douglas et Eleanor Parker); Amphitryon
38 de Giraudoux; Les femmes savantes de Molière, etc.
Fort
heureusement à cette époque, la télévision qui l'avait déjà sollicitée à de
nombreuses reprises, continue à la réclamer et à lui présenter de plus
tangibles satisfactions qu'au cinéma.
Nous
l'avons notamment appréciée en dame en noir dans la série des Rouletabille
qui marque les débuts d'Yves Boisset à la caméra; en ministre de la joie de
vivre dans La demoiselle d'Avignon de Michel Wyn; en mère de Bruno
Garcin, héros éponyme de Lucien Leuwen selon Stendhal; en mère de famille moderne dans La lune papa
de Jean-Paul Carrère qui l'avait déjà précédemment dirigée dans Les nuits de
la colère, et jusqu'au dernier, Le grand Bâtre, une ode à la
Camargue en neuf épisodes de Laurent Carcélès due à la brillante et fertile
imagination de Frédérique Hébrard, par ailleurs une amie de la première heure,
condisciple du Conservatoire et partenaire dans la Madame de Falindor de
ses débuts.
Aujourd'hui,
après des années passées à Paris suivies d'une long et indéfectible attachement
à la campagne francilienne, elle reste toujours très active, se rend aux
conférences et s'intéresse évidemment au
cinéma d'autant qu'elle fait partie, entre autres, du jury des Césars, ceci
sans nostalgie excessive pour la French glamour girl qu'elle a
personnifiée et dont les cheveux auburn, les yeux marrons et la sublime
plastique firent fantasmer Hollywood… et ses fans du vieux continent.
©
Yvan Foucart
(avec mes vifs
remerciements à Nicole Maurey pour sa disponibilité et son extrême
gentillesse).
FILMOGRAPHIE
1943 Blondine, de Henri Mahé, avec Georges
Marchal.
1944 Le cavalier noir, de Gilles Grangier, avec
Georges Guétary.
Paméla,
de Pierre de Hérain, avec Fernand Gravey.
1948 La bataille du feu / Les joyeux conscrits, de
Maurice de Canonge, avec Jean Gaven.
1950 Le journal d’un curé de campagne, de Robert
Bresson, avec Claude Laydu.
1951 Rendez-vous à Grenade, de Richard Pottier,
avec Luis Mariano.
1952 Opération Magali, de Laszlo V. Kish, avec
Raymond Souplex.
Le dernier Robin des Bois, de André
Berthomieu, avec Roger Nicolas.
Little
boy lost / Le petit garçon perdu, de George Seaton, avec Bing Crosby.
1953 Les compagnes de la nuit, de Ralph Habib,
avec Raymond Pellegrin.
L’œil
en coulisses, de André Berthomieu, avec Jean-Marc Thibault.
L’ennemi
public n° 1, de Henri Verneuil, avec Fernandel.
Si
Versailles m’était conté, de et avec Sacha Guitry.
1954 Napoléon, de et avec Sacha Guitry.
The
secret of the Incas / Le secret des Incas, de Jerry Hopper, avec Charlton
Heston.
The constant husband / Un mari presque fidèle, de Sidney Gilliat,
avec Rex Harrison.
1955 The bold and the brave / Le brave et le
téméraire / La patrouille de l'enfer, de Lewis R. Foster,
avec Mickey Rooney.
1956 Action immédiate, de Maurice Labro, avec
Henri Vidal.
Section
des disparus, de Pierre Chenal, avec Maurice Ronet.
The
weapon / Scotland Yard appelle F.B.I., de Val Guest, avec Steve Cochran.
Rogue’s
Yarn, de Vernon Sewell, avec Derek Bond.
1957 Me and the Colonel / Moi et le Colonel, de
Peter Glenville, avec Danny Kaye.
1958 The scape goat / Le bouc émissaire, de Robert
Hamer, avec Bette Davis.
1959 The house of the seven hawks / La maison des
sept faucons, de Richard Thorpe, avec Robert
Taylor.
The
jayhawkers / Violence au Kansas, de Melvin Frank, avec Jeff Chandler.
1960 High Time / Le démon de midi, de Blake
Edwards, avec Bing Crosby.
His and hers, de
Brian Desmond Hurst, avec Terry-Thomas.
Don’t
bother to knock / Entrez chez moi sans frapper, de Cyril Frankel, avec Richard
Todd.
1961 The day of
the Triffids / L’invasion des Triffids, de Steve Sekely, avec Howard Keel.
1962 The very edge / La mort d'un sadique, de
Cyril Frankel, avec Richard Todd.
1965 Pleins feux sur Stanislas, de Jean-Charles
Dudrumet, avec Jean Marais.
1966 Commissaire San Antonio / Sale temps pour les
mouches, de Guy Lefranc, avec Gérard
Barray.
1976 Gloria, de Claude Autant-Lara, avec Maurice
Biraud.
1981 Chanel solitaire, de George Kaczender, avec
Marie-France Pisier.
@ Yvan
Foucart - pour les Gens du cinéma (4 janvier 2007)