MADELEINE  LEBEAU

 

 

Vrai nom : Marie-Madeleine Berthe Lebeau.

Née à Antony (Hauts-de-Seine) le 10 juin 1923.

 

 

Très jeune, son ambition était de devenir une star.

Elle ne manquait pas d'atouts. Grande, belle, sexy, son sourire ravageur rappelait celui de Viviane Romance.  Du reste, sa carrière aurait pu l'inspirer.

Seulement voilà, il n'en a rien été.

On voudrait ne pas être dur avec Madeleine Lebeau, mais force est de constater que sa filmographie n'est pas des mieux fournies et que ses rôles ont souvent manqué d'originalité.

 

Madeleine Lebeau et Clément Duhour avec le mannequin Praline (au centre) pour Paris chante toujours, un divertissement dédié à Dranem et à sa maison de retraite pour les comédiens nécessiteux de Ris-Orangis (Essonne).

 

 

 

 

 

 

 

 

F

ille d'un papa menuisier et d'une maman mère au foyer, Madeleine rêve devant les couvertures des magazines de cinéma et les photos glacées des beaux gosses de l'époque, Jean Gabin, Jean-Pierre Aumont, Jean Marais, Gilbert Gil et autres jeunes premiers lissés.

 

A seize ans, elle s'inscrit au cours René Simon pour une très courte durée car sa rencontre avec Dalio, un peu provoquée si l'on en croit l'intéressé, la conduit à la mairie d'Antony, commune où elle réside avec sa mère (le papa est décédé alors qu'elle était très jeune), pour la célébration de leurs noces en ce lundi 30 octobre 1939.

 

L'Allemagne vient d'envahir la Pologne, la guerre gronde et la confession israélite de Dalio les amènent à fuir la France pour l'Amérique.  Ils gagnent Biarritz en Delahaye, dernière folie de l'acteur, où ils l'abandonnent avant de passer l'Espagne et le Portugal à la recherche d'un visa de complaisance auprès du consulat du Chili.  Ce visa devient un sésame pour le Québec où ils restent peu de temps. A la veille d'un engagement dans un café-théâtre de Montréal, ils quittent précipitamment la ville pour se rendre à New York, puis gagner Hollywood, but ultime de leur exode.

 

Ils y retrouvent Charles Boyer et d'autres exilés français fraîchement arrivés. Dalio débute pour United Artists en croupier de casino dans The Shanghai gesture et Madeleine dont la seule expérience se limite à une simple apparition pour les Jeunes filles en détresse de Georg-Wilhelm Pabst, tourné deux ans plus tôt aux studios de Boulogne-Billancourt, décroche chez Paramount, la silhouette à peine parlante d'une émigrée roumaine dans Hold back the dawn/ Par la porte d'or aux côtés précisément de Charles Boyer, d'Olivia de Havilland et de Victor Francen.

 

Cela ne suffit pas à la lancer et la prolixité de sa carrière américaine ne joue pas en sa faveur.  

 

En quatre ans, elle tourne à peine quatre autres films, dont les plus significatifs pour la Warner Bros, les célèbres studios de Burbank. 

Dans Gentleman Jim, quasi muette (sans doute ne maîtrise-t-elle pas encore suffisamment la langue de l'oncle Sam ?), elle agrippe le bras de l'enfant terrible de Hollywood, le sémillant Errol Flynn, sans sa frémissante moustache, ceci pour une évocation librement adaptée de la vie du célèbre boxeur James J. Corbett. Quant au  désormais mythique Casablanca, en bonne patriote, elle entonne d'une façon déjà nettement plus audible une vaillante "Marseillaise" dans le "Rick's bar" sous les yeux éberlués d'Humphrey Bogart, le propriétaire désabusé, et d'Ingrid Bergman en quête d'un laissez-passer. 

 

Madeleine reste sous-estimée par les producers et pourtant ce n'est pas faute d'avoir fréquenté les parties  très à la mode du show-biz.  A cette époque, il est de bon ton de paraître, de se faire remarquer, et si possible de briller. Michèle Morgan, son amie,  l'accompagnant à l'une d'elles révèle à ce propos une rencontre inattendue avec Charlie Chaplin, l'impénitent séducteur d'alors et proie de prédilection des redoutables columnistes que sont Louella Parsons et Heda Hopper.  ("Avec ses yeux-là", Ed. Robert Laffont, 1977).

 

Madeleine à 20 ans, Dalio 44, le couple bat de l'aile depuis deux ans et ils finissent par divorcer le 29 juillet 1943.  Entre-temps, on lui a prêté des aventures sentimentales avec un journaliste proche de Louella Parsons ainsi qu'avec le milliardaire J. Paul Getty.

 

En 1946, elle regagne la France, tente de relancer sa carrière avec Les Chouans d'après le roman de Balzac.  Son rôle est important, c'est le tout premier du reste, celui d'une espionne romanesque qui succombe au beau marquis interprété par Jean Marais avec lequel, convaincue de trahison, elle tombe sous les balles des Chouans.  Bon film, d'honnête facture, la première projection, la previeuw diront certains, se donne à Fougères, là où le film fut en grande partie tourné, en présence du héros et de Madeleine éblouissante à souhait et blonde pour la circonstance.

 

Que peut-on retenir de la suite de sa filmographie française ?  Peu de choses, hélas.

Dupont-Barbès en fait une péripatéticienne roublarde qu'Henri Vilbert remet sur le droit chemin; Paris chante toujours pour un prétexte à rencontres avec les chanteurs de variétés de l'époque, mais qui lui offre de façon plus concrète celle avec son partenaire Clément Duhour avec lequel elle vivra quelques années heureuses et de qui elle aura une fille.

 

Citons encore d'autres compositions, celle de l'intrigante qui finit mal, évidemment, dans L'aventurière du Tchad pour laquelle elle peut s'enorgueillir d'en être la tête d'affiche… si ce n'est que le film, lui,  ne convainc guère.  L'histoire est quelconque, heureusement partiellement sauvée par une action assez bien menée ainsi qu'à l'attrait d'avoir été tournée en extérieurs en Oubangui-Chari (aujourd'hui République Centrafricaine).  La voilà, encore intrigante et rivale malheureuse de Barbara Laage qui par ailleurs lui vole la vedette dans Quai des blondes.  Une intrigue ni pire ni meilleure qu'une autre qui les entraînent toutes deux dans un trafic clandestin de cigarettes américaines (en l'occurrence, les "blondes", ce sont-elles !).  Et ensuite en Emilie Pellapra, la prétendue fille naturelle de Napoléon pour l'oeuvre revue et corrigée comme il se doit par Sacha Guitry; en amie complice de Sophie Desmarets qui accouche d'un bébé curieusement coloré, ceci pour leur sketch de La vie à deux, et en poule enquiquineuse subtilement larguée par Jean-Claude Brialy dans Le chemin des écoliers cela sur fond de marché noir au "beau" temps de l'occupation et avec un jeune et brillant Alain Delon dans sa phase ascendante.

 

Elle participe aussi au premier des Angélique, mais qui sera le dernier de ses films français, pour lequel Borderie lui offre le rôle de la "grande Mademoiselle", la duchesse de Montpensier, mortifiée de n'avoir pu épouser son cousin, le Roi Soleil.

 

Et enfin, pour l'anecdote, rappelons aussi Cage of gold / La cage d'or tourné en Angleterre où, propriétaire et chanteuse réaliste d'une boîte de nuit parisienne, elle est impliquée dans un trafic d'or entre Paris et Londres.  Notons au passage, qu'elle y interprète  trois chansons.

 

Séparée de Clément Duhour, elle se marie en 1956 à un jeune industriel, Marcel Guez, dont elle divorce trois ans plus tard.

 

En 1962, Fellini en fait la pitoyable actrice française de son Otto e mezzo / Huit et demi, l'une de ses œuvres majeures boudée à Cannes, sifflée à Moscou, mais dont l'accueil sera enthousiaste à Paris et à Rome, ainsi qu'à Hollywood qui la récompense de l'Oscar du meilleur film étranger.

L'un des scénaristes-dialoguistes n'est autre que Tullio Pinelli, vieux complice du maestro qui lui voue une confiance et une amitié indéfectibles.  Du reste, leur collaboration sans failles illuminera une bonne quinzaine de films.

Coup de foudre, Madeleine succombe aux charmes latins de ce beau et érudit Turinois.  Leur liaison se légalisera à Rome en juin 1988.

A cet instant, elle a déjà déserté les studios de cinéma depuis près d'un quart de siècle sur un western-spaghetti sans grande envergure.

 

Apparemment sans regrets.

Même si elle ne fut jamais la grande vedette qu'elle rêvait d'être.

 

Le plus important, in fine, n'aura-t-il pas été de passer des années de bonheur tranquille loin des artifices des sunlights, dans son havre de paix de la banlieue romaine…?

 

 

FILMOGRAPHIE

 

1939  Jeunes filles en détresse, de Georg-Wilhelm Pabst, avec Micheline Presle.

1941  Hold back the dawn / Par la porte d’or, de Mitchell Leisen, avec Charles Boyer.

1942  Casablanca, de Michael Curtiz, avec Humphrey Bogart.

          Gentleman Jim, de Raoul Walsh, avec Errol Flynn.

1943  Paris after dark, de Léonide Moguy, avec George Sanders.

1944  Music for millions / Tendre symphonie, de Henry Koster, avec June Allyson.

1946  Les Chouans, de Henri Calef, avec Jean Marais.

1948  Le secret de Monte-Cristo, d'Albert Valentin, avec Pierre Brasseur.

1950  Et moi j’te dis qu’elle t’a fait d’l’œil, de Maurice Gleize, avec Bernard Lancret.

          Cage of gold / La cage d’or, de Basil Dearden, avec Jean Simmons.

1951  Dupont Barbès / Malou de Montmartre, de Henry Lepage, avec Henri Vilbert.

          Fortuné de Marseille, de Henry Lepage et Pierre Méré, avec Henri Vilbert.

          Paris chante toujours, de Pierre Montazel, avec Clément Duhour.

1952  L’étrange amazone, de Jean Vallée, avec Gérard Landry.

          Légère et court-vêtue, de Jean Laviron, avec Jean Parédès.

1953  L’aventurière du Tchad, de Willy Rozier, avec Jean Danet.

          Mandat d’amener, de Pierre-Louis, avec Frank Villard.

          Quai des blondes, de Paul Cadéac, avec Barbara Laage.

          Si Versailles m'était conté, de et avec Sacha Guitry. (sous réserve)

1954  Cadet-Rousselle, d'André Hunebelle, avec François Périer.

          Napoléon, de et avec Sacha Guitry.

1955  La picara molinera / Le moulin des amours, de Léon Klimovsky, avec Carmen Sevilla.

1956  Le pays d’où je viens, de Marcel Carné, avec Gilbert Bécaud.

1957  Une parisienne, de Michel Boisrond, avec Brigitte Bardot.

1958  La vie à deux, de Clément Duhour, avec Fernandel.

1959  Le chemin des écoliers, de Michel Boisrond, avec Alain Delon.

          Vous n’avez rien à déclarer ?, de Clément Duhour, avec Darry Cowl.

1962  Otto e mezzo / Huit et demi, de Federico Fellini, avec Marcello Mastroianni.

1964  Angélique, marquise des Anges, de Bernard Borderie, avec Michèle Mercier.

          Desafio en Rio Bravo / Duel à Rio Bravo, de Tulio Demichelli, avec Guy Madison.

1965  La vuelta, de José Luis Madrid, avec Perla Cristal.

 

 

©  Yvan Foucart pour Les Gens du Cinéma (4 mars 2007)