Anne  DOAT

 

Avec un si beau visage d'ange…

 

Un air mutin qu'éclaire un visage d'une douce pâleur, de grands yeux angéliques, une comédienne promise à une brillante carrière…

 

Vingt et un films, autant de pièces de théâtre, quinze ans de carrière et une dernière apparition en 1978 pour un téléfilm.

 

Qu'est donc devenue la gentille et timide Anne Doat entrée à 19 ans sur les plateaux des studios de Boulogne-Billancourt face à Jean Gabin imposant bloc d'humanité dans "Chiens perdus sans collier" ?

 

 

 

 

 

 
 

 

 

 

A

nne naît à Neuilly-sur-Seine le 16 septembre 1936, fille de Jean Doat, célèbre metteur en scène de théâtre et d'opéra, et de Johanna, une maman hollandaise.

 

Elle effectue ses études au Lycée de Saint-Cloud et suit, avec plus d'intérêt que d'autres, les cours de son professeur d'art dramatique. Elle ne passe pas le baccalauréat, mais attirée par le théâtre, elle réussit à convaincre ses parents de suivre les cours de Jean Valcourt. Grâce à l'acquis engendré sous son magistère, elle obtient un prix au "Concours d'art dramatique et de déclamation Léopold Bellan".

 

Elle fut le bébé joufflu, Micheline Presle enfant, dans Paradis perdu d'Abel Gance, mais doit ses véritables débuts au grand écran grâce à Jean Delannoy avec Chiens perdus sans collier. Face à Gabin en juge d'instruction humaniste et magnanime, elle incarne l'adolescente enceinte d'un jeune délinquant issu d'une banlieue défavorisée.  Tiré du roman éponyme de Gilbert Cesbron, elle en est non seulement l'héroïne, mais aussi la révélation, ce qui lui vaut d'être récompensée par le très convoité Prix Suzanne-Bianchetti. Quant au film sur fond d'accords plaintifs arrachés à l'accordéon de Marcel Azzola, et grâce à la parfaite maîtrise de Delannoy ainsi qu'au talent de ses comédiens, il sera l'un des plus grands succès de l'année.

 

Jean Delannoy la reprend pour son film suivant Marie-Antoinette, reine de France, où de blonde elle passe en brune pour le rôle de Rosalie, la servante dévouée de la Reine jusqu'à l'ultime et tragique nuit passée à la Conciergerie.

 

Son image se précise et son parcours cinématographique se jalonne d'excellentes références et d'intéressantes rencontres: Tant d'amour perdu, une comédie dramatique qui lui vaut l'affection de Pierre Fresnay; ensuite son visage d'ange sied au Dialogue des carmélites et en particulier pour incarner Sœur Constance de Saint-Denis dont la présence même assure le sourire du film.  

Avec Arrêtez les tambours, Georges Lautner lui offre le rôle d'un agent de liaison auprès de la Résistance, une petite Madelon tendre et efficace, partenaire d'un parfait Blier égal à lui-même, en médecin victime de l'absurdité de la guerre.

Vient Le septième juré, un polar glauque de Francis Didelot que n'aurait pas désavoué Simenon, une satire acide de certaines mœurs provinciales pour laquelle, Lautner, toujours lui, plante sa caméra à Pontarlier.  Anne y retrouve Blier, en "honnête homme", notable considéré, mais néanmoins victime de pulsions qui le conduisent au crime.

 

En 1963, quatre films, dont Faites sauter la banque pour lequel elle incarne la fille d'un Louis de Funès encore au début de ses succès. Mais cette année, il y a aussi et surtout, son mariage le 9 août avec le réalisateur Jean Herman qui sous le pseudonyme de Jean Vautrin, se fait non seulement un nom en littérature, mais y récolte de nombreux succès et prix (notamment le Goncourt en 1989). 

Pour son premier long métrage, il dirige Anne, de retour en brune, dans Le dimanche de la vie, d'après le livre de Raymond Queneau.  Elle incarne Didine, la tenancière du café plongée dans l'atmosphère douce-amère d'avant-guerre propre au romancier.

 

En 1970, elle tourne son dernier film, Teresa, l'adaptation de la pièce de Natalia Ginzburg qu'elle avait créée un an plus tôt avec Suzanne Flon (Th. 347), un film malheureusement boudé par le public.

 

Vingt et un films, mais pratiquement autant de présences sur nos scènes de théâtre : La grande Félia de Jean-Pierre Conty, sa première pièce (Th. de l'Ambigu, 1955), Les sorcières de Salem d'Arthur Miller, pour une reprise aux cotés du couple Montand-Signoret (Théâtre Sarah-Bernhardt, 1955); Les oiseaux de lune de Marcel Aymé (Th. de l'Atelier, 1956); Romanoff et Juliette de Peter Ustinov, elle est Juliette auprès de Jean-Marc Bory en Romanoff (Théâtre Marigny, 1957); L'amour des quatre colonels, à nouveau d'Ustinov (Th. Fontaine, 1951); Tessa, la nymphe au cœur fidèle, de Jean Giraudoux (Th. Marigny, 1958); L'étonnant Penny Pecker de Liam O'Brien (Th. Marigny, 1958); l'inusable Boeing-Boeing de Marc Camoletti (Comédie-Caumartin, 1961); Un otage de Brendan Behan (Renaud-Barrault, 1962); Le soulier de satin de Paul Claudel (Renaud-Barrault, 1964); Des journées entières dans les arbres de Marguerite Duras (Renaud-Barrault, 1965); Le barbier de Séville et Le mariage de Figaro de Beaumarchais (Renaud-Barrault, 1966); Rhinocéros d'Eugène Ionesco (Renaud-Barrault); La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux (Th. de la Ville); Six personnages en quête d'auteur de Luigi Pirandello (Théâtre de la Ville, 1968); La bonne âme de Se Tchouan de Bertolt Brecht (Th. de la Ville), Le procès de Jeanne d'Arc monté par Robert Hossein au Théâtre de Paris; etc.

 

En 1962, le Prix Gérard-Philipe attribué à la meilleure comédienne de théâtre lui est décerné à la quasi unanimité.

 

Et ce n'est pas tout car nous ne pouvons occulter la télévision, d'autant qu'elle l'aborde encore naissante aux mythiques studios des Buttes-Chaumont. Une télévision imprégnée de rigueur et d'un grand professionnalisme.  Avec L'histoire de Natacha, Anne s'avère tout simplement parfaite en héroïne dostoïevskienne tourmentée dirigée par François Gir; suivent Les deux orphelines de Youri; Le chevalier de Maison-Rouge d'Alexandre Dumas que réalise Claude Barma et pour lequel elle campe Geneviève Dixmer, l'héroïne royaliste (à noter que ce téléfilm sera repris en 1963 en version digest pour le grand écran); Candide de Pierre Cardinal, qui lui confie Cunégonde auprès de Claude Nicot dans le rôle-titre, Le mariage de Figaro de Marcel Bluwal pour la reprise de son rôle de Suzanne précédemment défendu au théâtre; La vierge folle de Jean Kerchbron; Ruy Blas sous la direction de Barma, Le cocu magnifique avec Robert Hirsch, quelques épisodes des Cinq dernières minutes, version Souplex, L'Inspecteur Leclerc auprès de Philippe Nicaud… jusqu'à sa dernière prestation, en 1978, pour Le temps d'une république : Le chien de Munich de Michel Mitrani, etc.

 

Signalons aussi qu'elle a enregistré sur disque Les fables de La Fontaine avec le regretté André Reybaz.

 

En 1977, après la naissance de Julien, son troisième enfant, autiste, elle décide de tirer un trait sur sa carrière et de consacrer tout son temps à son fils, de même qu'à la noble association "Autisme Solidarité" qu'elle crée avec son mari pour les personnes atteintes de ce mal. 

Leur "Centre Oriane" à Barjols (Var) accueille une trentaine de jeunes adultes autistes. 

Son plus beau rôle, son plus bel engagement, reconnaît-elle.

Signalons que dans son livre "La vie Ripolin", grand prix du roman de la Société des Gens de lettres, paru en 1987, son mari raconte leur expérience avec infiniment de pudeur qui ne peut qu'engendrer respect et admiration.

 

Ils sont grands-parents de quatre petits-enfants : Marine, Pierre-Loup, David et Lola.

 

Aujourd'hui, loin du show-biz, loin de Paris, parfaitement équilibrée dans sa vie privée, elle vit heureuse avec son mari dans leur propriété de la banlieue bordelaise.

 

Que faut-il retenir d'Anne ?

Une jeune starlette portée par des rêves qui avait su nous séduire. 

Une comédienne qui avait su s'affirmer, s'épanouir, et nous émouvoir. 

Une femme de cœur, généreuse et sincère.

Soit une parfaite adéquation devant laquelle nous ne pouvons être qu'élogieux.

 

Si l'âge et le temps effacent certains souvenirs, les jeunes cinéphiles que nous fûmes dans les années soixante apprirent pour ne jamais les oublier les noms des jeunes et prometteuses actrices  qui nous firent craquer.

 

Parmi ces noms : celui d'Anne Doat, une ingénue à fossettes avec ce beau visage empreint à la fois de fragilité et de sérénité et avec ce quelque chose en plus si proche de l'angélisme...

 

 

FILMOGRAPHIE

 

1938  Le paradis perdu, d'Abel Gance, avec Micheline Presle.

1955  Chiens perdus sans collier, de Jean Delannoy, avec Jean Gabin.

          Marie-Antoinette, reine de France, de Jean Delannoy, avec Michèle Morgan.

1956  Le coup du berger, court métrage de Jacques Rivette, avec Claude Chabrol.

          La Normandie, court métrage de Pierre Lary.

1958  Tant d’amour perdu, de Léo Joannon, avec Pierre Fresnay.

1959  Le dialogue des Carmélites, de R.L. Bruckberger et Philippe Agostini, avec

          Jeanne Moreau.

          Mon pote le gitan, de François Gir, avec Jean Richard.

1960  Arrêtez les tambours !, de Georges Lautner, avec Bernard Blier.

          Le panier à crabes, de Joseph Lisbona, avec Pierre Michaël.

1961  La Fayette, de Jean Dréville, avec Michel Le Royer.

          Le septième juré, de Georges Lautner, avec Bernard Blier.

          La forêt des hommes rouges, court métrage de Jean Lehérissey, avec Jacques

          Dufilho.

1962  Neuf mois en quelques minutes, court métrage de Pierre Lary, avec Daniel

          Ceccaldi.

          Les fusils, moyen métrage de Jean Herman, avec Claude Berri.

1963  Carambolages, de Marcel Bluwal, avec Jean-Claude Brialy.

          Dragées au poivre, de Jacques Baratier, avec Françoise Brion.

          Faites sauter la banque, de Jean Girault, avec Louis de Funès.

          Trafics dans l’ombre / Impasse au mort, d'Antoine d’Ormesson, avec Michel

          Auclair.

1965  Le dimanche de la vie, de Jean Herman, avec Danielle Darrieux.

1968  Un diablo bajo la almohada / Calda e… infedele / Le diable sous l’oreiller, de

          José Maria Forqué, avec Ingrid Thulin.

1970  Teresa, de Gérard Vergez, avec Suzanne Flon.

 

avec nos chaleureux remerciements à Anne.

 

© Yvan FOUCART  pour  Les gens du Cinéma.  (Mise à jour le 15.02.2006)