Jacques CHABASSOL

 

 

Né à Paris le 4 Juin 1935

 

 

ACTEUR

 

 

PORTRAIT

 

Le talentueux Monsieur Chabassol

 

« C’est un homme à tout faire », dit de lui sa femme en plaisantant. « D’ailleurs, il a tout fait ! ». Acteur de théâtre et de cinéma, restaurateur puis décorateur, en privé ébéniste et peintre : à 73 ans, l’œil vif et la voix rieuse, Jacques Chabassol semble faire partie des happy few qui n’ont pas eu à choisir. Parmi ses multiples vies, celle qu’il connut comme discret jeune premier du cinéma français des années 50 aux côtés des plus grands pourrait lui sembler loin. Mais de Cayatte à Lautner, de Duvivier à Carné, d’Arletty à Fernandel, ses neuf films et dix ans de carrière sont définitivement de ceux qui laissent des souvenirs.

L’enfance de ce fils d’épicier ardéchois établi à Montmartre, c’est d’abord celle d’un véritable gamin de Paris, exemplaire de cette jeunesse d’après-guerre électrisée par le monde du spectacle. Un abonnement au théâtre le met sur la voie. À dix-sept ans, il rejoint la scène en s’inscrivant au cours du Théâtre de l’Œuvre, qui accueille régulièrement Lise Delamare, Georges Chamarat ou Pierre Brasseur. Suit un petit rôle dans Le Piège à l’innocent, mis en scène par Jean Le Poulain en 1953, aux côtés de Paul Cambo et de Jean Muselli. La même année, André Cayatte lance une audition pour réunir à l’écran la bande des jeunes d’Avant le déluge autour de Marina Vlady. Chabassol est choisi avec Clément-Thierry, Jacques Fayet et Roger Coggio aux côtés d’acteurs confirmés comme Bernard Blier, Jacques Castelot et Balpêtré. Il se souvient : « Nous formions une bande très sympathique. Cayatte nous dirigeait remarquablement et avait bien typé chaque personnage : face à Line Noro, qui jouait ma mère, très possessive, il m’avait par exemple donné comme instruction de toujours regarder par terre. » Et de rappeler cette anecdote : « Un soir, j’avais raccompagné Marina Vlady chez elle en Vespa quand, en rentrant de Clichy, j’ai eu un accident avec un camion. Il ne restait plus que quelques scènes à tourner mais on a dû arrêter le film pendant trois semaines. Je les ai passées à l’hôpital à me faire refaire le nez… » Le film est un succès et toute la troupe se retrouve au Festival de Cannes de 1954 : « Dans l’avion, Cocteau et Noël-Noël nous avaient dit : “C’est certain, vous allez être primés…”. » La prophétie s’avère juste et Avant le déluge remporte le Prix international.

Très vite, les films s’enchaînent. D’abord L’Affaire Maurizius, où il est choisi par Julien Duvivier pour un autre rôle de jeune au milieu d’une pléiade de stars : Daniel Gélin, Charles Vanel, Eleonora Rossi Drago, Madeleine Robinson, Anton Walbrook… L’air candide, la raie impeccable, son naturel fait mouche sous ses allures de jeune homme de bonne famille. C’est ensuite Huis clos de Jacqueline Audry et le souvenir d’un Jean-Paul Sartre présent sur le plateau pour superviser le script. Bientôt l’Italie s’intéresse à lui et le célèbre producteur Angelo Rizzoli vient en personne le rencontrer à Paris un jour de 1955, accompagné du réalisateur Franco Brusati. Il est engagé pour donner la réplique à Myriam Bru dans Il padrone sono me : « Le film est un bon souvenir : nous recevions sur le plateau la visite de Gloria Swanson, alors en séjour à Rome, que j’allais chercher à sa résidence des Parioli. Elle ne sortait qu’une fois par semaine mais jusqu’à sept heures du matin… À Cinecittà, ma loge n’était pas loin de celle d’Audrey Hepburn, venue tourner des raccords pour Guerre et Paix. » À son retour, il retrouve l’ambiance des nuits de Montmartre et monte avec Jacqueline Duforest, au célèbre restaurant Le Coup de frein, un club nocturne dont Alain Delon devient le parrain. C’est l’époque où Marcel Carné cherche à se familiariser avec les lieux fétiches de la jeunesse branchée pour son film Les Tricheurs (1958). Jacques Chabassol lui sert alors de guide dans la découverte des boîtes et des clubs en vue. En souvenir de ces escapades, il fera une apparition dans le film aux côtés de Belmondo.

Vient le service militaire en Algérie, où il est pendant trente mois infirmier chez les paras. Sans pour autant oublier le spectacle : à la demande de Mme Massu, il monte une tournée théâtrale à l’intention des troupes stationnées dans le pays. De retour en métropole, il joue, à nouveau avec Blier, dans les premiers films de Georges Lautner (Marche ou crève et Arrêtez les tambours), avant de ponctuer sa carrière au cinéma en 1962 par Le Voyage à Biarritz de Gilles Grangier, où il interprète le fils de Fernandel : « J’ai été imposé contre son gré car il voulait jouer avec son fils Franck. Mais quand on s’est rencontrés, il m’a dit : “Chabassol, ça sent le midi” et tout s’est bien passé… »

Sur ses adieux au cinéma, Jacques Chabassol se montre plutôt pragmatique : « J’ai arrêté parce que j’avais monté deux restaurants, l’un à Auvers-sur-Oise, qui servait aussi pour des expositions artistiques, et l’autre, Chez Ubu, à Montmartre, qui ouvrait seulement le soir et où les artistes en herbe venaient passer des auditions, chanter, danser. C’était une affaire commune avec le marquis de La Bourdonnaye, un producteur que j’avais rencontré sur les films de Lautner. Lui aussi était un ancien para et nous avions sympathisé. Il se servait de Chez Ubu comme d’un pôle relationnel et moi je tenais le restaurant. On y faisait presque tous les cocktails de Lautner, joignant ainsi l’utile à l’agréable. » Bientôt il donne une nouvelle preuve de sa capacité de talentueux touche-à-tout en se lançant avec le décorateur de cinéma Louis Le Barbenchon dans l’insonorisation du Bus Palladium, la célèbre boîte ouverte rue Fontaine en 1965. Avant de passer avec le même enthousiasme à la décoration, qu’il apprend sur le tas de Le Barbenchon. Ensemble ils conçoivent les décors de célèbres restaurants parisiens et de quelques films comme Les Compagnons de la marguerite de Mocky (1969).

Sa rencontre avec Lilian le met sur de nouveaux rails. Elle est styliste et a travaillé comme costumière pour Sheila : « C’est Jacques qui m’a convaincue de monter ma maison de prêt-à-porter. J’ai habillé la bande des yé-yé : Charden, C. Jérôme et tous les autres. Je faisais les costumes de scène et Jacques décorait leurs appartements. Puis l’affaire a pris une telle importance qu’il a laissé tomber la décoration pour travailler avec moi. » En 1994, la retraite les amène dans cet enchanteur village de Provence où ils vivent aujourd’hui. À ces Parisiens de longue date, la capitale ne semble pas manquer : « Nous y allons trois ou quatre fois par an. Mais quand on a goûté au sud, on ne peut plus s’en passer… » L’aménagement de leur maison, où chaque meuble traduit un goût très sûr, est évidemment son œuvre à lui. « C’est un artiste… », souligne amoureusement Lilian. La preuve s’il en fallait que, même pour un bref passage, on ne vient jamais au cinéma complètement par hasard. Modeste, Jacques Chabassol sourit, se contentant d’invoquer « les circonstances de la vie » pour expliquer ses carrières successives. Une chose est sûre : il a désormais tout le loisir de repenser à ses multiples existences. Et, sans aucun doute, de s’en inventer d’autres.

 

FILMOGRAPHIE :

 

1953    o          Avant le déluge d’André Cayatte

                                   avec Marina Vlady

o          L’Affaire Maurizius de Julien Duvivier

                                   avec Daniel Gélin

1954    o          Huis clos de Jacqueline Audry

                                   avec Arletty

1955    o          Il padrone sono me de Franco Brusati

                                   avec Andreina Pagnani

1958    o          Les Tricheurs de Marcel Carné

                                   avec Pascale Petit

1959    o          La Nuit des traqués de Bernard-Roland

                                   avec Philippe Clay

            o          Marche ou crève ! de Georges Lautner

                                   avec Juliette Mayniel

1960    o          Arrêtez les tambours ! de Georges Lautner

                                   avec Bernard Blier

1962    o          Le Voyage à Biarritz de Gilles Grangier

                                   avec Fernandel

 

ã Geoffroy Caillet  pour Les Gens du Cinéma (Mise à jour 12/04/2009)