Bernard Dhéran

1926

 

Kerbilic le petit mousse

Bernard Yves Raoul Dhéran est né le 17 juin 1926 à Dieppe. Dans son autobiographie, cependant,  il retient plutôt le village de Varengeville, en pays de Caux, là où il va passer les premiers moments de sa vie, et qui comptera pour lui.  Son père est un citadin  normand qui travaille à Dieppe dans les assurances. « Mon père, courageux et besogneux…C’était un homme simple, timoré, modeste, tendre, discret. » Il apprendra son décès en 1969, alors qu’il « faisait l’acteur à Bastia ». » Quant à sa maman, c’est une villageoise de souche picarde, une cuisinière exceptionnelle. Bernard est un enfant unique qui évoquera ses premières années « heureuses et douillettes » ; outre celle de ses parents, il a l’affection de sa tante Nanouch  qui lui fera découvrir Paris, et celle  de son grand-père qui ressemblait à Victor Hugo. Tout petit, Il aime déjà  se déguiser, en naïf petit clown par exemple ! Il a 10 ans ; à la fête annuelle de l’institution Join-Lambert,  il joue un rôle (son premier sur les planches) dans une histoire gentillette « Les Gars de la marine » Il y campe le petit mousse Kerbilic qui ne sait que dire de façon récurrente « Oh !  Moi vous savez… » Un joli succès.  Mais il est jalousé par certains camarades ! Tout succès a son revers apprend-il déjà ! Il s’en souviendra…

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                                        Bernard DHERAN : portrait jeunesse

Juste avant guerre

Et puis ce sont les vacances sur la côte d’Opale. En 1937, le trio familial s’installe sur les hauteurs de Rouen, dans une maison style Art Déco. Mais ce qui reste gravé dans sa mémoire,  ce sont ses séjours chez sa tante à Vaires-sur-Marne. C’est là le temps des lectures de grands auteurs que sont Dumas, Hugo, Théophile Gauthier Anatole France… L’été 1939 ?  Bernard le passe en partie à Deauville. Le casino le fait rêver…Ray Ventura s’y produit et son idole Charles Trenet aussi.

La guerre et la révélation du théâtre

La guerre …La maison Art déco est réquisitionnée. En 1942, alors qu’il a pu rejoindre sa tante à Paris,  il est présent à la création à la Comédie Française de « La Reine Morte » de Montherlant et en 1943 à celle du « Soulier de Satin » de Paul Claudel.  Il a 16 ans et il est subjugué par les grands interprètes du Français que sont Jean Yonnel, Aimé Clariond, Maurice Escande ou Pierre Dux. Il ne se doute pas encore qu’un jour il leur donnera la réplique ! Le voilà de retour au lycée Corneille de Rouen et une opportunité fait qu’il rencontre Lisika, comédienne et enseignante… « Elle m’ouvrit l’appétit pour les planches ». Ses premiers pas devant un vrai public, il les fait dans le Cid (le rôle de Don Alonse) et ses partenaires se nomment Maurice Escande et Maurice Donneaud.

Retour à Rouen qui est libéré… Le bac qu’il passe en août ! Reçu …

Le conservatoire

La tante Nanouch le récupère dans la capitale. Il est inscrit au cours de Maurice Escande au théâtre Edouard VII. Il y rencontre Michel Bouquet, Claude Pieplu, Bernard Noël, Nathalie Nerval et Madeleine Delavaivre. Il va préparer le conservatoire et auditionnera devant Georges Le Roy,  qui lui dira : «…Vous avez la foi, un minimum d’autocritique et de la patience, je pense que vous pouvez tenter de faire ce métier…Le parcours sera intéressant, difficile…armez vous ! ».

   Le concours d’entrée ! Il présente « Clitandre » dans « Les femmes Savantes » et « Trissotin » est Michel Bouquet. C’est le cru 1946 ! 500 postulants pour 14 places et il est choisi avec André Falcon par Georges Le Roy. Ce dernier prêchera la patience au jeune poulain piaffant qu’il était… Puis un jour, un mot de l’administrateur de la Comédie Française parvient au professeur : « Pouvez-vous nous envoyer un élève pour un petit rôle ? » Georges Le Roy désigne Bernard qui est à la fois flatté et tétanisé.  Il dira ainsi ses premiers mots dans la salle mythique.

Il passe ensuite dans le cours de Béatrice Dussane. Il y rejoint Louis Velle, Frédérique Hébrard, Robert Dhéry et Colette Brosset, Martine Sarcey, Denice Gence.  Il y côtoiera également une toute ravissante jeune fille, Marie Sabouret. La grande dame avait pressenti son avenir dans des rôles costumés, empesés, de candides mais pas dans les grands tragédiens. Le  4 juillet 1947, il décroche un 2e prix tout comme Michel Etcheverry (aucun premier prix cette année là !). Mme Dussane lui dira : « Ton inconscience, ta naïveté ont payé … »

 

Dans la troupe Renaud-Barrault

Entre temps, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud ont quitté le Français entraînant avec eux Jean Desailly.  Ils investissent le théâtre Marigny et ont besoin d’un jeune comédien pour compléter leur troupe. Pierre Renoir qui a remarqué Bernard Dhéran le recommande… Quittant le conservatoire sur un coup de tête, et donc abandonnant toute chance d’être intégré au « Français », il participe avec Jean-Louis et Madeleine  à la création « du Procès de Kafka », puis de « l’Etat de siège »  d’Albert Camus, aux côtés de Maria Casarès et de Pierre Brasseur. D’autres pièces avec la troupe, emmèneront notre héros en dehors de nos frontières, exporter la littérature et le talent français. Il ira ainsi au Brésil accompagné de sa jeune épouse Madeleine Delavaivre. Jean Louis Barrault l’aidera à gérer son impatience … C’est grâce à lui qu’il fera la connaissance de Fernand Ledoux, un homme qui le marquera et pour qui il éprouvera une grande admiration.

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                                               La troupe Renauld-Barrault     

Mais Bernard qui a joué avec les sursis reçoit sa convocation pour le service militaire et il se retrouve à Vernon dans l’Eure. Un jour il est appelé : ordre du général, il doit se rendre d’urgence à Paris. Deux heures plus tard, Jean-Louis Barrault le récupère pour jouer dans la foulée Amphytron.

 

La Comédie Française

Puis il entre à la Comédie Française en 1953, la quitte sur un coup de tête pendant 2 ans, et y revient en 1959 pour y rester pendant 30 ans jusqu'en 1989. Il en sera le 437e sociétaire. Pendant cette période, il jouera les grands rôles du répertoire classique.  Pendant toutes ces années, il ira en ambassadeur du théâtre français sur les scènes du monde entier. Bernard sait nous raconter les tournées avec des anecdotes drôles et fines et l’on se rend compte que tout en représentant fort bien la culture française, il s’est bien amusé, a vécu des aventures extraordinaires, a fait des rencontres qui comptent, comme celle avec Charlie Chaplin. Tout cela, on le découvre dans son livre « Je vais avoir l’honneur » paru récemment.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

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                        A la Comédie Française…            

 

Et le cinéma ?

Le 7e art va bien sûr faire appel à ce jeune acteur qui a une réelle présence et une voix noble, sachant aussi bien prendre des accents de tragédie que lancer quelques traits d’esprit avec malice. La seule chose que le public regrettera c’est de ne pas l’avoir apprécié dans un premier rôle ! Pourquoi ? Manque de disponibilité sans doute…

Mais revenons à ses débuts : On pourrait dire que sa chance s’appelle Sacha Guitry, qui le choisit pour une apparition furtive dans  le diable  boiteux. Sait-il alors qu’à l’instar de son maître, il aura l’occasion à plusieurs reprises d’incarner Talleyrand (la fiction télévisée « Marianne une étoile pour Napoléon en 1983 et le spectacle « C’était Bonaparte » de Robert Hossein en 2002) ?

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                                       Si Paris nous était conté

En 1952 René Clair lui donne un rôle court dans Les Belles de nuit aux côtés de Gérard Philipe. A nouveau, Sacha Guitry lui confiera des rôles dans ses grandes fresques : dans  Si Versailles m'était conté", il y  est Beaumarchais et le maître lui prêtera la canne que son père Lucien avait dans « Pasteur », lui recommandant d’en prendre grand soin.

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     Bernard DHERAN dans le rôle de Bourienne

Pendant deux jours, Bernard  la gardera serrée sur son cœur comme un trésor ! Il enchaînera avec  Si Paris nous était conté  pour incarner Voltaire et Napoléon où il est Bourienne, le confident de l'empereur et où il retrouvera un grand ami de son âge Roland Alexandre qu’il n’oublie pas d’évoquer dans ses mémoires. Il fait partie de la brillante distribution des  Grandes manœuvres de René Clair pour y retrouver Gérard Philipe. 

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                                     Les grandes manoeuvres

On le retrouve dans un répertoire très varié, costumé, passant du drame à la fantaisie, d’un emploi de méchant à celui d’un dandy. Citons dans le registre léger, Miss Catastrophe, Ce soir les jupons volent, etc…

Dans la catégorie des films à costume,  le comte de Monte-Cristo lui donne le rôle du procureur de Villefort.  Il est aussi le chevalier de Vildalinc dans Le Capitaine Fracasse de Pierre Gaspart-Huit où il donne la réplique à Jean Yonnel, qu’il admirait tant (1960). Le même réalisateur  le redemandera pour Gibraltar, une intrigue policière contemporaine où l’on retrouve sur l’affiche Gérard Barray, Hildegarde Knef et Madeleine Clervanne. Entre les deux, il aura fait une apparition amicale dans le film  la belle américaine de ses complices du conservatoire Robert et Colette, les Branquignols.

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                                       Le Capitaine Fracasse

Christine et Katia, deux jolis prénoms pour deux films, deux occasions de croiser la toute jeune étoile montante Romy Schneider. 

Souvenons-nous de son truculent rôle d’officier dans le deuxième volet de la Septième compagnie de Robert Lamoureux, prouvant qu’il peut tout jouer. 

Ses dernières apparitions sur la toile blanche nous les devrons à Jean Delannoy, (Le docteur)  dans Bernadette , Patrice Leconte dans Ridicule, et en 2004 Vincent De Brus pour L’antidote.

Bernard Dhéran participera à de nombreuses fictions télévisées, historiques ou théâtrales ainsi que dans des séries populaires.

           

Une voix remarquable et remarquée

Bernard Dhéran a une voix facilement reconnaissable, très élégante, une voix noble qu’il prête à  David Niven, Alec Guinness, Sean Connery, Anthony Hopkins, Christopher Lee, Ian Mac Ellen, Christopher Plummer, entre autres. Il est très souvent choisi comme récitant. Dans un genre différent, c’est lui que l’on entend à travers le personnage du cardinal de Richelieu dans la superbe attraction récente du Puy du Fou « Le Mousquetaire de Richelieu ».

Depuis 1989, l’année où il a quitté la Comédie Française, il reste très présent chez lui, à savoir sur les planches pratiquement tous les ans! Il lui arrive d’assurer des mises en scène et même des décorations ! En plus… au Théâtre du Palais Royal, Laurent Baffie ose l’appeler dans sa pièce « Toc Toc »  pour un rôle ahurissant d’un vieux Monsieur atteint d'un TOC et qui profère injures et grossièretés… Un rôle surréaliste mais où il se sera bien amusé !

 

Et maintenant …

Bernard Dhéran fut l’époux de Madeleine Delavaivre. Ils divorceront mais resteront amis, Madeleine devenant Madame Jacques François. Jacques et Bernard s’entendaient et s’entendront toujours bien. Après une seconde union, alors qu’il est veuf depuis 1980, il rencontre Nicole qui devient sa compagne.

Ce toujours jeune comédien était sur scène en 2010 aux côtés de sa « Marianne » de 1983, Corinne Touzet et de Jean-Luc Reichman, dans « Personne n’est parfait » au théâtre des Variétés.  ….

Voici donc racontée la carrière de cet éternel jeune premier élégant, qui nous fait l’honneur de nous enchanter sur les planches et qui ne semble pas connaître le mot « retraite » ! C’est sans doute cela son secret ! Bravo à vous Monsieur Dhéran, et si d’aventure vous venez à lire ces lignes, quel sera votre prochain spectacle ?

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                                                                              Dans le rôle de Talleyrand             

 

© Donatienne Roby pour les Gens du Cinéma (14/12/2010)

 

 

FILMOGRAPHIE :

 

1948      o             Le diable boiteux de Sacha Guitry

avec Lana Marconi

1952      o             Les belles de nuit de René Clair

                                               avec Gérard Philipe

1953      o             Le grand pavois de Jack Pinoteau

                                               avec Marc Cassot

                o             Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry

                                               avec Jean Marais

1954      o             Napoléon de Sacha Guitry

                                               avec Daniel Gélin

1955      o             Les hommes en blanc Ralph Habib

                                               avec Jeanne Moreau

                o             Si tous les gars du monde de Christian-Jaque

                                               avec André Valmy

                o             Les grandes manoeuvres de René Clair

                                               avec Gérard Philipe        

                o             Si Paris nous était conté de Sacha Guitry

                                               avec Robert Lamoureux

1956      o             Miss Catastrophe de Dimitri Kirsanoff

                                               avec Sophie Desmarets

                o             L’inspecteur aime la bagarre de Jean Devaivre

                                               avec Paul Meurisse

                o             Quelle sacrée soirée de Robert Vernay

                                               avec Dora Doll

                o             Vacances explosives de Christian Stengel

                                               avec Arletty

                o             Ce soir les jupons volent de Dimitri Kirsanoff

                                               avec Sophie Desmarets

1957      o             La garçonne de Jacqueline Audry

                                               avec Andrée Debar

                o             Fumée blonde de Robert Vernay

                                               avec Darry Cowl

                o             Vacances à Ischia (Vacanze ad Ischia) de Mario Camerini

                                               avec Vittorio De Sica

                o             Le grand bluff de Patrice Dally

                                               avec Eddie Constantine

                o             La peau de l’ours de Claude Boissol

                                               avec Jean Richard

                o             C’est la faute d’Adam de Jacqueline Audry

                                               avec Dany Robin

1958      o             Soupe au lait de Pierre Chevalier

                                               avec Noël Roquevert

                o             Christine de Pierre Gaspard-Huit

                                               avec Romy Schneider

1959      o             Katia de Robert Siodmak

                                               avec Romy Schneider

                o             Classe tous risques de Claude Sautet

                                               avec Lino Ventura

                o             Rue des prairies de Denys de La Patellière

                                               avec Jean Gabin

1960      o             Le capitaine Fracasse de Pierre Gaspard-Huit

                                               avec Jean Marais

1961      o             La belle américaine de Robert Dhéry

                                               avec Colette Brosset

                o             Le comte de Monte-Cristo de Claude Autant-Lara

                                               avec Louis Jourdan

1962      o             Les bricoleurs de Jean Girault

                                               avec Francis Blanche

1963      o             Gibraltar de Pierre Gaspard-Huit

                                               avec Gérard Barray

1964      o             Les gorilles de Jean Girault

                                               avec Darry Cowl

                o             De l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts de Maurice Boutel

                                               avec Anthony Stuart

1965      o             Les bons vivants / Un grand seigneur de Gilles Grangier

                                               avec Louis de Funès

1966      o             Le nouveau journal d’une femme en blanc / Une femme en blanc se révolte de Claude Autant-Lara

                                               avec Bernard Musson

1967      o             L’homme à la Buick de Gilles Grangier

                                               avec Fernandel

                o             Les jeunes loups de Marcel Carné

                                               avec Roland Lesaffre

                o             Le grand bidule de Raoul André

                                               avec Francis Blanche

1970      o             Mais ne nous délivrez pas du mal de Joël Séria

                                               avec Jeanne Goupil

1972      o             Le silencieux de Claude Pinoteau

                                               avec Lino Ventura

1975      o DA      Tarzoon, la honte de la jungle de Picha et Boris Szulzinger (Voix)

                o             On a retrouvé la septième compagnie de Robert Lamoureux

                                               avec Jean Lefebvre

1978      o DA      Le seigneur des anneaux (The Lord of the rings) de Ralph Bakshi (Voix)

1983      o             Les princes de Tony Gatlif

                                               avec Gérard Darmon

1987      o             Bernadette de Jean Delannoy

                                               avec Jean-Marc Bory

1991      o             Loulou Graffiti de Christian Lejalé

                                               avec Anémone

1995      o             Ridicule de Patrice Leconte

                                               avec Jean Rochefort

2000      o             Stardom de Denys Arcand

                                               avec Jessica Paré

2004      o             L’antidote de Vincent De Brus

                                               avec Christian Clavier

 

 

© Christophe BOULIN  pour Les Gens du Cinéma (mise à jour André SISCOT 14/12/2010)