Françoise Arnoul
Le petit animal doué de
bonheur
A l'inverse de Ginette Leclerc voire de
Viviane Romance, Françoise Arnoul constitue un heureux paradoxe. Celui d'avoir
joué à ses débuts tant de rôles de garce, de fille facile et d'être restée une actrice
que l'on ne peut s'empêcher d'aimer. Car tous les cinéphiles ont été amoureux
de la jolie Françoise de la grande époque du cinéma français des années
cinquante. Extrêmement photogénique, la silhouette irréprochable, elle fut
l'une de nos toutes grandes stars lorsque cette appellation avait encore un
sens.
De son vrai nom Françoise Annette Marie
Mathilde Gautsch, elle est née en Algérie, fille du général d'artillerie
Charles Gautsch et de Jeanne Gradwohl. Cette dernière, avant son mariage, avait
entamé une brève carrière de comédienne sous le pseudonyme de Jeanne Henry et
se révéla d'un précieux appui lorsque sa fille émit le désir de suivre des
cours d'art dramatique.
Après l'Algérie, la famille qui comprend aussi deux garçons,
séjourne huit ans au Maroc avant de regagner Paris à la fin de la guerre.
Françoise effectue ses études au Lycée Molière dans le 16ème
arrondissement. Elle les interrompt à 17
ans car l'impérieuse nécessité d'une carrière cinématographique accapare toute
son attention.
Elle est élève chez Andrée Bauer-Thérond avec comme condisciples
Anouk Aimée et Roger Hanin.
Après une réplique coupée au montage dans Rendez-vous de
juillet de Becker, un imprésario la découvre et la présente à Willy Rozier
à la recherche précisément d'une jeune héroïne qui, outre son talent, puisse se
dénuder pour les besoins de son film L'épave. Elle y incarne une jolie
garce, vénale, qui entraîne un brave scaphandrier (André Le Gall) à sa perte.
Pour ne pas compromettre le général qui ne voit pas d'un très bon oeil les
velléités artistiques de sa fille, Françoise opte pour le pseudonyme d'Arnoul,
lequel n'est autre que l'un des prénoms de son cher papa… tandis que les scènes jugées trop osées
sont confiées à une doublure.
Elle a 18 ans et cette prestation ne passe pas inaperçue.
C'est cependant le second film qui la catapulte vraiment et sans
qu'elle ait à dévoiler sa plastique, par ailleurs admirable. Elle est la jeune
première espiègle au joli minois de Nous irons à Paris, l'aimable
divertissement de Jean Boyer où son partenaire n'est autre que le gentil et
séduisant Philippe Lemaire. Ce film est un gros succès populaire et tant pour
Philippe que pour elle, il marque vraiment le début de leur carrière
respective. La guerre est terminée depuis près de quatre ans, le pays se relève
difficilement et est trop heureux
de pouvoir se
divertir avec d'aussi charmantes comédies.
La France fredonne avec une joie non dissimulée les mélodies de
ces diables d'enchanteurs que sont Ray Ventura
et Paul Misraki "A la mi-août", "J'ai peut-être tort,
j'ai peut-être raison" et
"Tant je suis amoureux de vous".
De là, part une cascade d'engagements et une histoire d'amour
entre Françoise et son public. Elle
retrouve son partenaire pour trois autres films et durant toute cette décennie
elle vole de succès en succès.
Citons quelques-uns des plus émergents : Le fruit défendu,
dans lequel elle incarne le démon du midi d'un Fernandel médecin de province
qui aborde avec ce film l'un de ses rares rôles dramatiques; Des gens sans
importance où elle interprète la petite bonne amoureuse de Jean Gabin,
routier expérimenté, lui aussi atteint du même syndrome; Les compagnes de la
nuit dans lequel son balancement lascif des hanches n'occulte en rien
l'affirmation réelle de ses dons de comédienne et La rage au corps où
elle est explose d'insolence, deux excellents films du regretté Ralph Habib
injustement décrié dans les encyclopédies du cinéma. Notons aussi les deux
épisodes de La chatte de Henri Decoin où elle campe Cora, une séduisante
et redoutable espionne à la tête d'un réseau de résistance; de même que le Sait-on
jamais ? de Vadim, passé maître dans l'art de
transcender la sensualité de ses interprètes, ainsi que Thérèse Etienne,
d'après un roman de John Knittel, où elle se montre parfaitement machiavélique.
Mais l'un de ses meilleurs films, le meilleur du reste, est ce
tonique French Cancan de Jean Renoir (dont elle peut se prévaloir de
l'amitié) de retour des Etats-Unis où, aux côtés d'un Gabin au mieux de sa
forme, elle incarne de sublime façon Nini, la jeune blanchisseuse de la butte
Montmartre qui part à l'assaut du
"Moulin Rouge". Un
rôle admirable pour lequel les cours de danse classique suivis durant cinq
ans à Rabat s'avèrent très utiles !
Elle se marie le 31 juillet 1956 à Louveciennes (Yvelines) avec le
publiciste Georges Cravenne, futur père des Césars et des Molières. Les témoins ne sont autres que Pierre
Lazareff, Maurice Chevalier et André Bernheim. L'événement est médiatisé comme
il se doit, mais il n'empêche pas l'union de se briser sur les récifs de la
routine. Le divorce est prononcé le 12
juin 1964.
Durant 18 ans, elle vit maritalement avec le réalisateur Bernard
Paul, lequel succombe d'un cancer le 6 décembre 1980. Bernard Paul est d'un
autre milieu, c'est un cinéaste engagé par la vie sociale, proche du parti
communiste et ami de Louis Daquin. Avec Françoise, il tourne Dernière sortie
avant Roissy, un film qui se veut un éclairage sur le douloureux problème
des banlieues. Cinéaste d'une grande
sensibilité, hors des normes du show business, il ne disposa jamais des moyens
nécessaires pour mener à bien ses nombreux projets (voir fiche).
Sa disparition affecte Françoise qui a bien du mal à reprendre
pied dans le cinéma. Déjà, l'arrivée de
la Nouvelle Vague ne l'a pas épargnée hormis Pierre Kast qui, à deux reprises,
l'a fort adroitement utilisée. En outre, deux films espagnols, respectivement
de Raul Ruiz et de Roberto Bodegas, ne rencontrent aucun crédit de ce côté-ci
des Pyrénées.
Comédienne accomplie et intelligente, comment expliquer cette
injuste exclusion ? Certes, il y a l'explosion Bardot, mais cela n'explique pas
tout.
Heureusement, la télévision si souvent dénigrée se manifeste. C'est vrai qu'elle n'engendre pas toujours des
chefs-d'oeuvre (le cinéma non plus), mais Françoise a la chance de se voir
offrir de très belles compositions dans d'excellents téléfilms. En 1969
déjà, elle avait retrouvé Jean Renoir
pour Le roi d'Yvetot, l'un des quatre sketches du "petit théâtre de
Renoir" qui analyse sous un angle peu habituel le triangle classique du
mari, de la femme et de l'amant. Françoise y était entourée de Fernand Sardou
et de Jean Carmet.
Et pour citer les plus
récents, entre autres : La garçonne d'Etienne Périer, dans lequel
elle incarne la mère de la regrettée Marie Trintignant; Héloïse de
Pierre Tchernia; Billard à l'étage et L'alambic, tous deux de
Jean Marboeuf; Une patronne de charme
de Bernard Uzan aux côtés de Martin Lamotte et d'Alexandra Vandernoot. On la
voit aussi dans des séries, telles L'instit (Menteur!) ou Les cinq
dernières minutes (Fin de bail) avec Pierre Santini dans un rôle rappelant
celui autrefois tenu par Raymond Souplex.
Ses incursions théâtrales se limitent à sa prestation de Dora
Doulebov, l'une des cinq terroristes russes, aux côtés de Marcel Bozzuffi, dans
Les justes d'Albert Camus. Elle
reprend le rôle créé par Maria Casarès en décembre 1949 au Théâtre Hébertot.
Par la suite, elle se produit aussi dans L'annonce faite à Marie de Paul
Claudel au Théâtre Montansier de Versailles.
En 1995, elle publie chez Belfond, un agréable livre de souvenirs intitulé "Animal doué de bonheur".
Elle doit sa dernière prestation cinématographique à Claude
Faraldo pour Merci pour le geste tourné à Paris avec Jacques Hensen et Agathe de la
Boulay. Elle incarne l'épouse bourgeoise d'un homme devenu SDF qui ne parvient
pas à renouer avec sa vie d'antan. Cinéaste prolétaire aux vues très proches de
celles de Bernard Paul (on se souvient de Bof, de Themroc, entre
autres), Françoise a du, sans nul doute, apprécier cette rencontre.
Malgré les drames et les revers, Françoise garde son inépuisable
joie de vivre et lors de son passage sur FR 3 à
Faut pas rêver, elle nous fit don de sa maxime de vie : "Le
temps qui passe n'est jamais du temps perdu, car à chaque seconde il se passe
quelque chose".
Elle habite dans un confortable appartement du 5ème
arrondissement, non loin du Jardin des Plantes.
La jeune vamp a fait place à une femme épanouie dont la sérénité irradie
le merveilleux visage. Elle a gardé son merveilleux sourire, les yeux ont
toujours ce même pétillement et la silhouette est restée admirablement svelte.
Même au plus haut de sa carrière, elle a su maintenir le capital sympathie de
ses débuts et une extrême et sincère gentillesse. Ce n'est d'ailleurs pas sans
raison que la presse unanime lui décerna son Prix "Orange"
récompensant en cela l'actrice la plus populaire et la plus coopérative.
Alors, chère Françoise, vous comprenez pourquoi il nous est impossible
de vous oublier. Et pourquoi nous sommes
toujours amoureux de vous.
FILMOGRAPHIE.
1949 Rendez-vous de juillet, de Jacques Becker,
scène coupée au montage.
L'épave, de Willy Rozier, avec André
Le Gall.
Nous irons à Paris, de Jean Boyer,
avec Philippe Lemaire.
1950 La rose rouge, de Marcello Pagliero, avec les
frères Jacques.
Quai de Grenelle, d'Emile-Edwin
Reinert, avec Henri Vidal.
Mon ami le cambrioleur, de Henri
Lepage, avec Philippe Lemaire.
Mammy, de Jean Stelli, avec Philippe
Lemaire.
1951 La maison Bonnadieu, de Carlo Rim, avec
Danielle Darrieux.
Le désir et l'amour, de Henri Decoin,
avec Martine Carol.
La plus belle fille du monde, de
Christian Stengel, avec Maurice Régamey.
1952 La forêt de l'adieu / Soir de noces, de Ralph
Habib, avec Jean-Claude Pascal.
Le fruit défendu, de Henri Verneuil,
avec Fernandel.
Adieu Paris, de Claude Heymann, avec
Philippe Nicaud.
Les amants de Tolède, de Henri
Decoin, avec Gérard Landry.
1953 Les compagnes de la nuit, de Ralph Habib,
avec Raymond Pellegrin.
Dortoir des grandes, de Henri Decoin,
avec Jean Marais.
La rage au corps, de Ralph Habib,
avec Philippe Lemaire.
Delirio / Orage, de Giorgio Capitani
et Pierre Billon, avec Raf Vallone.
1954 Le mouton à cinq pattes, de Henri Verneuil,
avec Fernandel.
Secrets d'alcôve, sketch
"Riviera-Express", de Ralph Habib, avec Marcel Mouloudji.
French Cancan, de Jean Renoir, avec
Jean Gabin.
Les amants du Tage, de Henri
Verneuil, avec Daniel Gélin.
Napoléon, de Sacha Guitry, scène coupée au montage.
1955 Des gens sans importance, de Henri Verneuil,
avec Jean Gabin.
Si Paris nous était conté, de et avec Sacha
Guitry.
1956 Le pays d'où je viens, de Marcel Carné, avec
Gilbert Bécaud.
Paris Palace Hôtel, de Henri
Verneuil, avec Charles Boyer.
En effeuillant la marguerite, de Marc
Allégret, simple apparition.
1957 Sait-on jamais ?, de
Roger Vadim, avec Robert Hossein.
Cargaison blanche, de Georges
Lacombe, avec Georges Rivière.
Thérèse Etienne, de Denys de La
Patellière, avec Pierre Vaneck.
1958 La chatte, de Henri Decoin, avec Bernhard
Wicki.
Asphalte, de Hervé Bromberger, avec
Massimo Girotti.
1959 La bête à l'affût, de Pierre Chenal, avec
Henri Vidal.
La chatte sort ses griffes, de Henri
Decoin, avec Horst Frank.
Le chemin des écoliers, de Michel Boisrond,
avec Alain Delon.
Le testament d'Orphée, de Jean
Cocteau, simple apparition.
1960 Le bal des espions, de Michel Clément, avec
Michel Piccoli.
La morte-saison des amours, de Pierre
Kast, avec Daniel Gélin.
1961 Les Parisiennes, sketch
"Françoise", de Claude Barma, avec Paul Guers.
1962 Le diable et les dix commandements, sketch
"Luxurieux point ne seras", de Julien
Duvivier, avec Claude Dauphin.
Vacances portugaises / Les
égarements, de Pierre Kast, avec Daniel Gélin.
1963 A couteaux tirés, de Charles Gérard, avec
Marcel Dalio.
1964 Lucky Jo, de Michel Deville, avec Eddie
Constantine.
Compartiments tueurs, de
Costa-Gavras, avec Yves Montand.
Der Kongress amüsiert sich / Le
Congrès s'amuse, de Geza von Radvanyi, avec Curd
Jürgens.
1965 Le dimanche de la vie, de Jean Herman, avec
Danielle Darrieux.
1970 Españolas en Paris / Des Espagnoles à Paris,
de Roberto Bodegas, avec Pierre Vernier.
1971 Primer año, documentaire de Patricio Guzman,
voix uniquement.
1974 Dialogo de exilados / Dialogue d'exilés, de
Raoul Ruiz, avec Daniel Gélin.
1975 Black-out, de Philippe Mordacq, avec Suzanne
Flon.
L'indice de la quinzaine, court
métrage de Jean-Marie Richard.
1976 Violette et François, de Jacques Rouffio,
avec Jacques Dutronc.
Dernière sortie avant Roissy, de
Bernard Paul, avec Pierre Mondy.
1979 Bobo Jacco, de Walter Bal, avec Laurent
Malet.
1983 Ronde de nuit, de Jean-Claude Missiaen, avec
Gérard Lanvin.
1986 Nuit docile, de Guy Gilles, avec Claire
Nebout.
La mouche, court métrage de Guy
Bazile.
1990 Voir l'éléphant, de Jean Marboeuf, avec
Michel Duchaussoy.
1991 Les années campagne, de Philippe Leriche,
avec Charles Aznavour.
1992 Dimanche à Aix, court métrage de François
Chayé.
1993 Jean Renoir, documentaire de David Thompson,
simple apparition.
1996 Temps de chien, de Jean Marboeuf, avec
Evelyne Bouix.
1997 Post-coïtum, animal triste, de Brigitte
Roüan, avec Patrick Chesnais.
1999 Daniel Gélin, mon père, documentaire de
Manuel Gélin, simple apparition.
2000
Photo de famille, court métrage de Xavier Barthélemy, avec Jean-Noël
Brouté.
Merci pour le geste, de Claude Faraldo, avec Jacques Hensen.
© Yvan FOUCART pour Les Gens de Cinéma