Anouk  AIMEE

D'une inaltérable beauté

 

 

 

Cha ba da ba da….

Deauville en hiver, ses planches, la plage, le cri revêche des mouettes tourbillonnantes.  Et dans cette atmosphère romantique, déjà nostalgique, une voix douce, presque apeurée, des cheveux indociles qu'elle relève, un pincement des lèvres, des yeux marrons qui vous chamboulent les pulsions cardiaques.

Comment lui résister ?

Impossible.

 

 

 

J

amais un pseudonyme ne fut aussi bien porté.

Il lui vient de son premier film, La maison sous la mer, qu'elle tourna sous la direction de Henri Calef, lequel l'avait remarquée à la sortie d'un restaurant des Champs-Elysées.

Longue jeune fille brune à la silhouette de tanagra, elle avait tout juste 14 ans.

En paraissait plus.

Déjà secrète.

Déjà frémissante de sensibilité.

Séduit, le réalisateur lui offre un petit rôle, celui d'une fille d'auberge prénommée Anouk.

Ainsi commence l'histoire d'Anouk.

La nôtre…

 

Véritable enfant de la balle, fille des comédiens Henry Murray (décédé en 1981) et de Geneviève Sorya (elle tourna aussi sous le pseudonyme de Catherine Carrey), Anouk, encore Nicole Françoise Florence Dreyfus, naît à Paris (17ème) le 27 avril 1932.

Un nom difficile à porter surtout lorsqu'on est adolescente et qu'un danger permanent venu d'outre-Rhin vous oblige à vous réfugier dans une semi clandestinité.  Difficile à porter lorsqu'en plus sa mère est arrêtée à la ligne de démarcation par les Allemands, torturée et emprisonnée.

 

Sa vocation première, dit-on, était de devenir pharmacienne, mais La maison sous la mer  annihile ce projet car, prise au jeu de la caméra, elle s'inscrit aux cours de comédie d'Andrée Bauer-Thérond.

 

L'année suivante, elle impressionne Marcel Carné et Jacques Prévert qui la retiennent pour La fleur de l'âge, dont ils commencent les prises de vue à Belle-Ile au large de Quiberon. Hélas, le film connaît toutes sortes de déboires et restera inachevé. Non seulement inachevé, mais dont on déplore aujourd'hui encore la perte mystérieuse des bobines de tournage.

C'est à cette époque que le poète-scénariste, sous le charme de la gracieuse sylphide, en fait sa filleule, complète son nom et lui accole tout naturellement "aimée" à Anouk.

Ainsi naît Anouk Aimée…

 

Le cinéma est une chose, mais elle ne néglige pas pour autant ses études qu'elle poursuit à Paris, puis dans un pensionnat à Bandol, à Megève, en Charente… et en Angleterre.

 

Jacques Prévert tient à son actrice.  Associé cette fois à André Cayatte, il persuade celui-ci de l'engager pour le rôle d'une Juliette moderne dans Les amants de Vérone, une transposition du drame shakespearien se déroulant dans les milieux cinématographiques.

Anouk s'y révèle parfaite et troublante. 

Et talentueuse.  La consécration est immédiate.

 

L'année suivante, en février 1949, pour la Saint-Valentin (mais la fêtait-on déjà à cette époque ?) elle n'a pas encore 17 ans et se marie avec Edouard Zimmermann, un industriel parisien, dont elle divorcera deux ans plus tard.

 

Durant ces années, elle alterne cinéma et théâtre.

Jean-Pierre Aumont qui vient d'écrire sa première pièce pense à elle pour L'empereur de Chine, mais prise par des contrats elle doit renoncer et laisser la place à Nadine Alari.  Par contre, peu après elle fait partie du Cercle de craie que Marcel Herrand rôde en province, puis de L'homme qui a perdu son ombre.

 

Alexandre Astruc, l'homme à la "caméra-stylo" la dirige à deux reprises, dans Le rideau cramoisi, moyen métrage qui obtient le Prix Louis-Delluc en 1952 et trois ans plus tard dans Les mauvaises rencontres.

 

Elle attire l'attention de la Rank et passe des plateaux français à ceux de la Grande-Bretagne pour des films hélas sans grande envergure ou d'autres qui se font sans elle.

Tout au plus, perfectionne-t-elle son anglais, ce qui est tout bénéfice pour la suite de sa carrière et dans l'immédiat pour l'embellie de son idylle avec Trevor Howard, son partenaire de Golden Salamander/La salamandre d'or.  Toutefois, c'est Nico Papatakis, animateur de "La rose rouge" qui s'essaiera plus tard, sans grand succès, à la réalisation, qu'elle épouse et qui sera le père de son unique enfant, sa fille Manuela.

 

En 1960, c'est la rencontre avec Jacques Demy et Lola.  Guêpière, bas noirs, talons noirs, haut de forme et boa, Demy lui sculpte avec délicatesse l'attachant personnage, celui de cette chanteuse de cabaret paumée évoluant dans ce qui pourrait être un conte basculant constamment entre le comique et le tragique.  Anouk en dévoilant la riche palette de ses émotions nous rend un personnage tellement fragile qu'il nous émeut d'autant qu'il constitue pour elle son véritable envol.

 

Quittant les frères Hakim pour lesquels elle vient de tourner Pot-Bouille, avec Gérard Philipe, superbe Octave Mouret que n'aurait pas désavoué Zola et dont elle est secrètement amoureuse, elle passe immédiatement sur les plateaux voisins, toujours à Billancourt, pour Montparnasse 19, film dédié au regretté Max Ophüls, initiateur du projet qui vient de décéder.  Elle y retrouve Gérard et un rôle dramatique qui marque encore une étape importante de sa carrière, sa rencontre avec Jeanne Hébuterne, la compagne malheureuse d'un Modigliani maudit, drogué, s'enlisant dans la déchéance et la solitude.

Puis c'est Fellini, le génie, le magicien, qui la sublime avec La dolce vita (Palme d'or à Cannes 1960) et Huit et demi, couronné par l'Oscar du Meilleur film étranger en 1964.

Rien que de beaux rôles !

 

Arrive Claude Lelouch.  Passionné, nerveux, précis, caméra à l'épaule, il en fait sa vedette pour Un homme et une femme.  Succès international, immédiat.  Parmi les récompenses, entre autres, la Palme d'or 1966 au Festival de Cannes, le Grand Prix de l'Office Catholique, l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood, et pour Anouk le Golden Globe de la meilleure actrice de cinéma catégorie drame, et le BAFTA (Grande-Bretagne) de la meilleure actrice étrangère aux British Academy Awards

C'est aussi le triomphe auprès du public, ce qui n'empêche le film d'être boudé par une  "intelligensia cinéphilique". Surpris, Lelouch n'en a cure. Il retrouvera d'ailleurs très régulièrement ses détracteurs, ce sont toujours les mêmes.  Lui, avec son cœur, ses tripes, et parfois ses ultimes deniers, il continuera à produire et à réaliser des bons et des moins bons films, ce qui est l'apanage de tous les réalisateurs. 

Quant à Anouk, fidèle à son réalisateur fétiche, elle l'accompagnera pour sept aventures.

 

Durant le tournage, elle épouse à Levallois-Perret, le chanteur et compositeur Pierre Barouh, son mari cascadeur du film.

Le divorce sera prononcé trois ans plus tard et Anouk convolera pour la quatrième et dernière fois avec le comédien anglais Albert Finney brillamment sortit de la Royal Shakespeare Company de Stratford-upon-Avon.

 

Elle poursuit sa carrière avec Justine, la séduisante espionne de George Cukor avec lequel elle ne s'entend guère, puis arrive The appointment  / Le rendez-vous, de Sidney Lumet, qui en fait un mannequin au regard triste constamment surveillé par un mari jaloux doutant de sa fidélité.

 

De 1969 à 1976, sept ans de silence à Londres, sa façon de se mettre en réserve du cinéma.

Puis Claude Lelouch la rappelle à Paris pour Si c'était à refaire.  Comment refuser ? Et de plus, il lui offre sa fille Manuela comme partenaire…

 

Elle enchaîne avec Mon premier amour que lui propose Elie Chouraqui, longtemps assistant de Lelouch et qui signe ici son premier film en tant que réalisateur, scénariste et co-producteur.

Et puis l'Italie qui depuis Fellini l'a adoptée : Le saut dans le vide, un drame de Marco Bellocchio relatant des rapports ambigus entre un frère et une soeur et qui lui vaut le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes, La tragédie d’un homme ridicule, drame toujours, de Bernardo Bertolucci où elle incarne l'épouse de Tognazzi et mère de leur fils mystérieusement enlevé,  Le général de l’armée morte de Luciano Tovoli qui signe ici son unique long métrage pour lequel elle interprète une fascinante comtesse à la recherche de la dépouille de son mari disparu sur le front albanais.

 

Au théâtre, elle crée Sud de Julien Green (Th. de l'Athénée, 1954) avec Pierre Vaneck), Love letters de l'Américain Albert Ramsdell Gurney (Th. du Petit Marigny, 1990) avec Bruno Cremer et reprise à la Comédie des Champs-Elysées en 1994 avec Jean-Louis Trintignant ainsi qu'en 2006 au Th. de la Madeleine avec Philippe Noiret, et en ce moment même, en tournée. 

 

Impossible de mentionner tous les prix reçus, ajoutons simplement à ceux déjà cités précédemment : le Prix décerné pour l’ensemble de sa carrière au Festival international du cinéma de Palm Beach, USA ( 2000 ), le César d’honneur attribué en  2002,  l'Ours d’Or d’honneur au Festival international du cinéma de Berlin en  2003, etc.

 

Une carrière internationale, les meilleurs réalisateurs, de prestigieux et talentueux  partenaires. Une actrice comblée, d'une élégance rare, dont le charme est intact, flamboyant, fait de mystère, d'inaccessibilité, de silences.  Un temps qui n'a pas de prise.

 

Vraiment pas de prise sur la ravissante Anouk.

Toujours aimée.

Et plus encore.

 

Cha ba da ba da…

Nous revoilà à Deauville... pour la plus belle des histoires d'amour.

 

 

FILMOGRAPHIE

 

1946  La maison sous la mer, de Henri Calef, avec Clément Duhour.

1947  La fleur de l’âge, de Marcel Carné, avec Serge Reggiani, inachevé.

1948  Les amants de Vérone, de André Cayatte, avec Pierre Brasseur.

1949  The golden salamander / La salamandre d’or, de Ronald Neame, avec Trevor Howard.

1950  La bergère et le ramoneur, dessin animé de Paul Grimault, voix de la bergère.

          Noche de tormenta / Nuit d’orage, de Jaime de Mayora et Marcel Jauniaux, avec Mario

          Cabré.

1951  Le rideau cramoisi, moyen métrage, d'Alexandre Astruc, avec Jean-Claude Pascal.

          La conquête du froid, court métrage de Jean Vidal.     

1952  The man who watched the trains go by / L’homme  qui  regardait passer les trains, de

          Harold French, avec Claude Rains.

1953  Ich such dich / L’amour ne meurt jamais, de O.W. Fisher, avec Paul Bildt.

1954  Contrabando  / contreband Spain / Meurtre, drogue  et  compagnie, de Lawrence

          Huntington et Julio Salvador avec Richard Greene.

1955  Les mauvaises rencontres, d'Alexandre Astruc, avec Claude Dauphin.

1956  Stresemann, de Alfred Braun, avec Wolfgang Preiss.

    Romeo und Juliet in Wien / Nina, de Rudolf Jugert, avec Karlheinz Böhm.

          Pot-Bouille, de Julien Duvivier, avec Gérard Philipe.

1957  Montparnasse 19, de Jacques Becker, avec Gérard Philipe.

          Tous peuvent  me tuer, de Henri Decoin, avec Peter van Eyck.

1958  The journey / Le voyage, de Anatole Litvak, avec Yul Brynner.

          La tête contre les murs, de Georges Franju, avec Paul Meurisse.

1959  Les dragueurs, de Jean-Pierre Mocky, avec Jacques Charrier.

          La dolce vita / La douceur de vivre, de Federico Fellini, avec Marcello Mastroianni.

          L’imprevisto / L’imprévu, d'Alberto Lattuada, avec Tomas Milian.

1960  Le farceur, de Philippe de Broca, avec Jean-Pierre Cassel.

          Lola, de Jacques Demy, avec Marc Michel.

          Quai Notre-Dame, de Jacques Berthier, avec Jacques Dacqmine.

1961  Il giudizio universale / The last judgement / Le jugement dernier, de Vittorio de Sica,

          avec Ernest Borgnine.

          Sodoma e Gomorra / Sodom and Gomorrah / Sodome et Gomorrhe, de Robert Aldrich

          et Sergio Leone, avec Stewart Granger.

1962  Les grands chemins, de Christian Marquand, avec Renato Salvatori.

          Il  giorno  più  corto / Le  jour  le  plus court, de Sergio Corbucci avec Walter Pidgeon.

1963  Otto e mezzo / 8 ½, de Federico Fellini, avec Marcello Mastroianni.

          Liolà  / Le coq du village, de Alessandro Blasetti, avec Ugo Tognazzi.

          Il successo, de Mauro Morassi, avec Vittorio Gassman.

1964  Le voci  bianche /  I castrati / Le  sexe  des  anges, de  Pasquale  Festa  Campanile  et

          Massimo Franciosa avec Paolo Ferrari.

          La fuga / La fugue, de Paolo Spinola, avec Paul Guers.

          Il terrorista / Le terroriste, de Gianfranco De Bosio, avec Gian Maria Volonté.

1965  Le stagioni del nostro amore / Les saisons de notre amour, de Florestano Vancini, avec

          Enrico Maria Salerno.

          Lo scandalo, de Anna Gobbi, avec Philippe Leroy.

1966  Il morbidone, de Massimo Franciosa, avec Sylva Koscina

          Un homme et une femme, de Claude Lelouch, avec Jean-Louis Trintignant.

1967  Un soir, un train, de André Delvaux, avec Yves Montand.

          Vivre pour vivre, de Claude Lelouch, simple apparition.

1968  Model shop, de Jacques Demy, avec Gary Lockwood.

1969  Justine, de George Cukor, avec Dirk Bogarde.

          The appointment  / Le rendez-vous, de Sidney Lumet, avec Omar Sharif.

1976  Si c’était à refaire, de Claude Lelouch, avec Catherine Deneuve.

1978  Mon premier amour, de Elie Chouraqui, avec Richard Berry.

1979  Salto nel vuoto / Le saut dans le vide, de Marco Bellocchio, avec Michel Piccoli.

1981  Qu’est-ce qui fait courir David ?, de Elie Chouraqui, avec Francis Huster.

          La tragedia di un uomo ridicolo / La tragédie d’un homme ridicule, de Bernardo

          Bertolucci, avec Ugo Tognazzi.

1982  Il generale dell’armata morte / Le général de l’armée morte, de Luciano Tovoli, avec

          Marcello Mastroianni.

1983  Benvenuta, de André Delvaux, avec Mathieu Carrière.

          Viva la vie ! , de Claude Lelouch, avec Charlotte Rampling.

1984  Success is the best revenge  / Le succès à tout prix, de Jerzy Skolimowski, avec John

          Hurt.

1986  Un homme et une femme, vingt ans déjà, de Claude Lelouch, avec Jean-Louis

          Trintignant.

1987  La table tournante, dessin animé de Jacques Demy et Paul Grimault, voix seulement.

          Arrivederci e grazie, de Giorgio Capitani, avec Ricky Tognazzi.

1988  Bethune : The making of a hero / Docteur Norman Bethune, de Phillip Borsos, avec

          Donald Sutherland.

1990  Il y a des jours… et des lunes, de Claude Lelouch, avec Gérard Lanvin, seulement

          apparition dans la bande annonce.

1992  Rupture(s), de Christine Citti, avec Emmanuelle Béart.

1993  Les marmottes, de Elie Chouraqui, avec Daniel Gélin.

          Ready to wear / Prêt-à-porter, de Robert Altman, avec Tim Robbins.

1994  Les cent et une nuits / Les cent et une nuit de Simon Cinéma, de Agnès Varda, simple

          apparition.

          Dis-moi oui…, de Alexandre Arcady, avec Jean-Hugues Anglade.

1995  L’univers de Jacques Demy, documentaire d'Agnès Varda, participation.

          Les menteurs, de Elie Chouraqui, avec Sami Frey, simple apparition.

1996  Hommes, femmes, mode d’emploi, de Claude Lelouch, avec Fabrice Luchini.

1997  Riches, belles, etc. / Riches, belles et cruelles, de Bunny Godillot, avec Claudia

          Cardinale.

1998  I love L.A., de Mika Kaurismäki, avec Joe Dallesandro.

          Une pour toutes, de Claude Lelouch, avec Jean-Pierre Marielle.

1999  1999 Madeleine, de Laurent Bouhnik, avec Manuel Blanc.

2000  Festival in Cannes, de Henry Jaglom, avec Maximilian Schell.

2002  La petite prairie aux bouleaux, de Marceline Loridan, avec August Diehl.

2003  Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, de Yvan Attal, avec Alain Chabat.

2005  De particulier à particulier, de Brice Cauvin, avec Hélène Fillières.

2006  Margot, de Negar Djavadi, avec Géraldine Pailhas.

 

©  Yvan Foucart  pour  Les Gens du Cinéma  (25 septembre 2006)